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Retour(s) sur 2022

2022 : VIVANTS !

Fin 2021, Réveillons-Nous !, notre temps fort, riche et joyeux, annonçait une activité future plus constante que celle des deux années précédentes. Réveillons-Nous ! devenait alors un cri de ralliement vers les promesses de l’année à venir, vers l’activité, vers la vitalité retrouvée. Au matin de 2022, les projets artistiques des Tombées de la Nuit, la relation aux artistes, aux partenaires, le jeu avec le territoire et avec ses habitants avaient la saveur prometteuse d’un retour au vivant, à tout ce qui fait notre essence : le collectif, la transmission, la rencontre, le rire, le corps, les éléments, la terre, le bitume, le mouvement sur la terre, le mouvement sur le bitume… 2022 fut une année éclatante et épatante, une année de retrouvailles avec la ville, avec le coeur de notre projet, à l’aube d’une étape charnière pour Les Tombées de la Nuit.

LA SAISON DES TOMBÉES DE LA NUIT : IMPULSION COLLECTIVE

2022 a démarré en fanfare avec de beaux événements et partenariats rassembleurs sur l’espace public. Les aventures variées des Tombées de la Nuit ont repris leur rythme cette année, prolongeant plus que jamais notre réflexion sur le lien fondamental entre art, habitants et territoire, coeur du projet de l’association.

Nouveaux projets attrapés au vol avec exaltation ou spectacles mainte fois reportés et enfin concrétisés : 2022 avait des airs de joyeux pied de nez aux difficultés des deux années passées.

PARTENARIATS DIMANCHE À RENNES : RENNES, VILLE PLURIELLE

Dès le début du projet des Tombées de la Nuit, dans le cadre de leur action territoriale, des relations fortes avec de nombreux acteurs culturels de la Région ont été nouées. Dans la lignée de ce projet originel et depuis le lancement de Dimanche à Rennes en 2016, nous avons créé des partenariats sur mesure, au cas par cas, envisagés en fonction de la nature des projets, des besoins spécifiques, en collaboration et en complémentarité avec les interlocuteurs.

Ces partenariats ont permis une diversité des acteurs concernés (associations artistiques, culturelles, sportives, etc.) ainsi que des lieux investis. Dans ce rôle de co-pilotes de Dimanche à Rennes auprès de la ville de Rennes, nous nous efforçons de prêter une attention particulière à l’évolution du paysage rennais, à cette pluralité à l’échelle de la cité.

La Volière Dromesko © Christophe Le Dévéhat
Marching Band Roazhon Project © Benjamin Le Bellec

NOS PARTENARIATS
DIMANCHE À RENNES EN 2022

• Festival Les Zef et Mer

Le festin de Babette, récit-concert (Bumpkin Island & Arnaud Stephan) et dégustation (Alexandra Vincens & Origines) • Festival Travelling

Pirate Patate – Le Studio Fantôme
Les Petits Dimanches, les concerts jeune public de L’Étage • Le Liberté // L’Étage

• Boom Boom Kids
Les Petits Dimanches, les concerts jeune public de L’Étage • Le Liberté // L’Étage

7 Samouraïs – Version 14
Le Grand Cordel MJC, dans le cadre du festival Parcours d’Ici

• Une journée à Takalédougou – Gurvan Loudoux et Amadou Diao
Les Petits Dimanches, les concerts jeune public de L’Étage • Le Liberté // L’Étage

Les Classiques du GRAMI – Compagnie 1 Montreur d’Ours
L’Opéra de Rennes, dans le cadre du festival Big Bang

La boucle est bouclée – Robin Cavaillès
Les Petits Dimanches, les concerts jeune public de L’Étage • Le Liberté // L’Étage

Festival Stunfest – 3 Hit Combo

Spirit Fest – Association Des Pies Chicaillent

Across the lines – Compagnie La pie qui joue

Block Party – Festival Dooinit

Marching Band Roazhon Project – Frédéric Nauczyciel, Marquis Revlon et Clément Le Goff
Théâtre National de Bretagne

Fest Deiz – Association Skeudenn Bro Roazhon

Tenebrae – Le Banquet Céleste et Damien Guillon • L’Opéra de Rennes

Inauguration de la Volière Dromesko – Le Théâtre Dromesko et la ville de Rennes

La Rentrée Waouh – Le Triangle Cité de la Danse

Come – Association Des Pies Chicaillent

Robinson et Samedi Soir – Soul béton
Les Petits Dimanches, les concerts jeune public de L’Étage • Le Liberté // L’Étage

Je suis comme ça – CY & JU
Les Petits Dimanches, les concerts jeune public de L’Étage • Le Liberté // L’Étage

Ma vie de Courgette (Ciné-concert) – Sophie Hunger • Antipode

La P’tite Boum – Bass Tong & DJ Philemon
Les Petits Dimanches, les concerts jeune public de L’Étage • Le Liberté // L’Étage

LES SIGNATURES DES TOMBÉES DE LA NUIT : TOUS ENSEMBLE, TOUS ENSEMBLE !

Revenir sur cette saison 2022 des Tombées de la Nuit, c’est inévitablement penser à la froideur de janvier réchauffée par l’installation intime de Dan Acher, S E C R E T S de Rennes ; c’est se remémorer de manière vivide les émotions de l’épopée collective Le Cauchemar de Séville, dans ce beau Roazhon Park… Revenir sur 2022, c’est penser à la vie qui reprend, aux rassemblements possibles, aux habitants complices véritablement retrouvés, à tout ce qui est sorti de terre pour s’élever sur les pavés, sur le bitume, dans les rues, halle et chapelle…

S E C R E T S DE RENNES

Projet de « l’artiviste » suisse Dan Acher, que nous avions déjà accueilli lors du festival 2021 avec l’installation monumentale Borealis, S E C R E T S de Rennes n’avait encore jamais été présenté au public lorsque Les Tombées de la Nuit se sont plongées dans l’aventure.
Après quelques semaines de rumeur répandue dans la ville, il s’agissait de l’installation en coeur de ville, place du Parlement, d’un cercle de lettres géantes en bois, épelant le mot « SECRETS ». Durant cinq jours, 20 à 25000 Rennaises et Rennais sont venus sur place, beaucoup se sont libérés, anonymement et par écrit, d’un secret, d’une confidence cachée en eux. Et ont lu les passions et les regrets de celles et ceux qui les entouraient. Le dimanche 30 janvier, à la tombée de la nuit, 4000 secrets furent brûlés lors d’un brasier libératoire devant 5000 personnes présentes place du Parlement. Un rituel de retrouvaille collective autant qu’un moment fort de partage et d’émotion.

Véritable création travaillée par l’équipe des Tombées de la Nuit main dans la main avec Dan Acher, S E C R E T S de Rennes fut une entrée émouvante dans la nouvelle année, une entrée à la fois intime, remuante et drôle ainsi qu’une étape marquante dans l’histoire culturelle de la ville. Pendant ces cinq jours, la place du Parlement a été le lieu d’une certaine psychanalyse de la ville et, lors du brasier final, de communion avec ses habitants.

Secrets © Nicolas Joubard
Secrets © Benjamin Le Bellec
Secrets © Benjamin Le Bellec

Apaches

Saïdo Lehlouh (France)

Dimanche 6 février

Avec le CCNRB/Collectif FAIR-E, dans le cadre du festival Waterproof

Vierges Maudites

Sentimentale Foule / Inès Cassigneul (France)

Dimanche 27 février

Avec L’Écomusée de la Bintinais

Vénus Parade

Clédat & Petitpierre (France)

Du dimanche 6 mars au dimanche 13 mars

En partenariat avec Les Champs Libres, dans le cadre de la Journée Internationale des droits des femmes

Métamorphées, ou l’éloge de l’aube

Anne-Cécile Esteve (France)

Du dimanche 10 avril au vendredi 9 septembre

En partenariat avec le Centre social des Champs Manceaux

Le rance n’est pas un fleuve

Massimo Dean/Kali & Co et Yvon Le Men (France)

Dimanche 24 avril

En partenariat avec le Centre d’hébergement et de réinsertion sociale ADSAO

ÉON

Création d’Olivier Mellano
Interprétée par le Choeur de Chambre Mélisme(s)
Direction Gildas Pungier (France),
Avec la participation de Melaine Dalibert (France)

Dimanche 8 mai

En partenariat avec L’ensemble scolaire Saint-Vincent Providence

Un week-end mortel

• Adieu !
Patrice de Bénédetti et Yann Lheureux (France)

• Celles d’en dessous
La mort est dans la boîte (France)

• Les goûters mortels
Compagnie Mange ! (France)

Samedi 5 et dimanche 6 novembre

Rettilario

Sara Leghissa (Italie)

Samedi 26 et dimanche 27 novembre

En partenariat avec Les Champs Libres, dans le cadre du Festival TNB

Chamonix

26000 Couverts (France)

Du mardi 27 au samedi 31 décembre

Avec L’Opéra de Rennes

Rencontre avec Massimo Dean et Yvon Le Men

« L’or est déjà là, il suffit de le faire émerger »

Massimo Dean & Yvon Le Men © Marie Chardonnet

Pour Le Rance n’est pas un fleuve, Massimo Dean a entraîné douze actrices et acteurs non professionnels dans un projet théâtral au long cours. Le poète Yvon Le Men en a écrit le texte. Avant d’unir leurs talents, chacun des deux artistes a cheminé avec Les Tombées de la Nuit.

1982, salle des pas-perdus

Des Tombées de la Nuit, le poète Yvon Le Men voit les premiers pas. Dès 1980, Jean-Bernard Vighetti et Martial Gabillard, alors à la barre des Tombées de la Nuit, lui proposent de lire ses textes lors d’un spectacle dans le péristyle de la mairie de Rennes. Sa participation au festival de 1982 lui laisse un souvenir extraordinaire : « Au Parlement de Bretagne, dans la salle des pas-perdus, on a rendu un hommage au poète Xavier Grall. Avec Glenmor, Dan Ar Braz, un orchestre et une troupe de théâtre. La poésie était là, dans ce lieu de pouvoir. Devant plus de 1000 personnes, vraiment toutes sortes de gens. C’était magnifique. » Devenu ami du festival, il revient s’y produire une demi-douzaine de fois.

On part à l’aventure

Pendant ce temps-là, Massimo Dean grandit en Italie. Il y crée notamment un festival de théâtre où il invite des troupes rennaises et rencontre alors Claude Guinard, directeur artistique des Tombées de la Nuit. Massimo Dean s’installe à Rennes en 2000 : « Les Tombées de la Nuit ont soutenu mes productions les plus folles et les plus longues, sourit-il. Aria, en 2012 : un opéra participatif. Puis Les Tours parlent, au Blosne et un travail sur le plaisir féminin Gigot Love, en 2017. Je crois que Les Tombées aiment qu’on parte ensemble à l’aventure, en travaillant des questions qui nous sont chères, à eux comme à moi : l’amour pour la ville, les parcours, le sens. »

Il est fou et à l’heure

En 2018, Massimo Dean cherche à monter un spectacle mettant en scène des personnes non professionnelles « dites en marge ». Il songe à la langue poétique d’Yvon Le Men pour amener leurs histoires. Il lui faut persuader le poète d’accepter une résidence de trois mois. « Quand j’ai reçu Massimo chez moi, je me suis dit : il est fou et à l’heure. On va pouvoir faire quelque chose », raconte Yvon Le Men.

Tout le monde a un poème en soi

Une fois le groupe d’acteurs et d’actrices constitué, Yvon les a rencontrés et a tendu l’oreille à leur histoire, pour écrire le texte du spectacle Le Rance n’est pas un fleuve, devenu aussi un livre (1). Qu’ont-ils en commun, Massimo et Yvon ? « L’envie de chercher l’or dans les gens, glisse Yvon Le Men. À chaque rencontre avec un ou une nouvelle actrice se produisaient des miracles. Je n’ai pas vu des gens réduits à leurs blessures, mais j’ai vu se créer des êtres puissants, avec des mystères à raconter. Ils sont tous beaux et terriblement poétiques. »

« L’or est déjà là, il suffit de le faire émerger, confirme le metteur en scène. Au début du projet, quelqu’un l’a qualifié « d’impossible à réaliser ». Ça m’a motivé. » Le duo a fait résonner le poème déjà là en chacune et chacun. En celle qui balance des non comme des mitraillettes. En celle qui parle silence. En celui dont les mots sont pressés. « Il fallait que le texte concilie leurs vies et mon écriture, leurs phrases et ma langue », explique le poète.

L’aventure collective est un contre-pouvoir

À Yvon, habitué à dire ses textes, Massimo a fait redécouvrir la joie du théâtre, celle à laquelle il avait goûté lycéen : « Avec des camarades et mon professeur de philo, on avait monté une troupe et joué Les Justes, de Camus. Les spectateurs étant surtout nos oncles et tantes, on a vite fait faillite. Avec Massimo, j’ai retrouvé la raison initiale de la scène : le pari que les gens sont intelligents. L’aventure collective aussi ». Il a laissé son texte se disperser dans d’autres voix. « Parfois, devant nos choix d’interprétation, j’ai lu dans le regard d’Yvon « ai-je vraiment écrit ça ? » s’amuse Massimo Dean. J’adore! » Yvon Le Men le solitaire, le silencieux, répond : « Monter cette pièce ensemble, j’ai trouvé ça merveilleux. Une aventure collective comme ça, c’est un lieu de contre-pouvoir, un contre-chant. Le contraire du faux ensemble dans lequel on vit. »

« C’est une heure tranquille, celle de la poésie et de la vie » (1)

À Massimo, Yvon a fait redécouvrir la force de la poésie : son abstraction. « Elle purifie, elle dit les choses sans trop les nommer, elle a permis aux acteurs d’être sur scène libérés de leur histoire. La poésie apporte un côté pudique. J’avais peur d’étaler des vies », partage Massimo Dean. Il trouve le langage poétique plus universel qu’un autre : « Il place tout le monde au même niveau. On ne se pose plus la question de qui est qui. C’est ça la beauté. » Et il inclut les spectateurs : « Comme il ne signifie pas explicitement, il reste un mystère. Alors le poème appartient à celui qui l’écoute et l’interprète. »

Audrey Guiller

(1) Les Épiphaniques (Editions Bruno Doucey).

LE CAUCHEMAR DE SÉVILLE : UN BOUT D’ÉTERNITÉ

Le Cauchemar de Séville © Marie Chardonnet

Le Cauchemar rêvé

Après trois ans d’attente, deux reports et quelques moments de doute, la performance Le Cauchemar de Séville de Massimo Furlan était finalement présentée au public le 17 mai au Roazhon Park. Sorte de montagnes russes émotionnelles, cette aventure est un merveilleux modèle de projet implicatif tant l’investissement humain qu’elle a demandé fut récompensé par le résultat final. Et quel résultat ! 
Devant 2 000 spectateurs venus commémorer le quarantième anniversaire de la défaite de la France face à l’Allemagne de l’Ouest lors de la Coupe du monde de football 1982, tragédie sportive nationale, nos habitants-complices ont interprété les joueurs de l’équipe de France de l’époque dans des conditions idéales, sur la pelouse de ce stade de Ligue 1, magistral Roazhon Park.
Investi par la chorégraphie, amusé par l’absence de ballon, d’adversaires et par les commentaires de Vincent Simonneaux et Cyrille L’Helgoualch diffusés dans des transistors qui lui était distribué, emporté par l’intensité de ce match tragique et bien décidé à conjurer le sort, le public a apporté à cette soirée si spéciale toute la ferveur espérée, faisant de ce spectacle l’une des plus belles pages de l’histoire des Tombées de la Nuit. Ce soir de 2022, n’en déplaise au 8 juillet 1982, il s’agissait d’humour face à la défaite et de joie collective.

Et puis, à l’invitation de Nuit Blanche, les joueurs et joueuses du Cauchemar de Séville se sont rendus à Paris pour rejouer la performance au Stade Charléty le 1er octobre dernier. Ce week-end, qui réunissait nos chers habitants, l’équipe des Tombées de la Nuit et une grande partie des personnes qui avaient participé à la magie du Roazhon Park, était une belle façon de faire nos adieux à ce projet inoubliable.

Un terrain de jeu idéal pour la communication

Le projet de Massimo Furlan disposait déjà d’une symbolique forte voire d’une mythologie nationale. La demi-finale France-RFA 1982 constitue un épisode de l’histoire populaire française, une véritable tragédie collective dont le récit est désormais passé dans l’Histoire, transmis de génération en génération.
Pour Les Tombées de la Nuit, la question devenait alors : de ce moment sportif douloureux, comment, grâce à l’art, faire émerger un nouveau collectif et créer les conditions d’un rituel de conjuration, de communion ?

En théorie, il semblait assez confortable de disposer d’une telle matière : un épisode mythique de la culture populaire et sportive, intelligible par toutes et tous, de 7 à 77 ans. Si la symbolique était dans toutes les têtes, les conditions de son émergence dans le cadre du Cauchemar de Séville sont rapidement devenues plus compliquées. La matière, les archives (nombreuses) existaient mais soumises aux droits d’auteurs et verrouillées par une FIFA peu connue pour son amour du geste gratuit. Sans images, il fallait donc faire preuve de créativité et nous avons décidé de créer notre propre matière et de fonder sa production sur la documentation de l’aventure humaine.

Première idée : Le journal du Cauchemar. Ce journal de bord, support consignant les épisodes de la vie de l’équipe, les rencontres et les entraînements, donnait chair et vie au projet et se voyait alimenter par les nombreux rebondissements de l’aventure. Car la préparation du spectacle, qui devait initialement durer un an et demi, a finalement duré trois ans. Un temps long qui a consolidé une équipe d’habitants-complices éprouvés, ajouté de la profondeur à l’aventure et participé à la construction de sa mythologie personnelle.

Quand en mars 2022, à l’annonce officielle d’une date pour le spectacle au Roazhon Park, le ciel s’est enfin éclairci pour nous permettre de lancer la phase de promotion du projet, nous nous sommes appuyés sur cette histoire, histoire que nous avons toutes et tous vécue auprès des joueuses et joueurs. Ensemble, nous avons continué à promouvoir le projet, en association avec le Stade Rennais FC. En se transformant en éléments de récit, les difficultés accumulées ont finalement renforcé la dynamique du Cauchemar de Séville et participé à son triomphe.

Retour sur la performance du Cauchemar de Séville au Roazhon Park

Quand le « pour de faux » crée des émotions pour de vrai.

Le Cauchemar de Séville © Benjamin Le Bellec

40 ans après la douloureuse défaite de la France face à l’Allemagne en demi-finale de la coupe du monde de football, le metteur en scène Massimo Furlan a fait rejouer le match par onze habitantes et habitants rennais. Quand le « pour de faux » crée des émotions pour de vrai.

17 mai 2022, Roazhon Park. Dans le vestiaire des joueurs du stade rennais, moquette rouge et noire, onze Rennaises et Rennais ont enfilé leur maillot bleu roi à l’effigie de l’équipe de France de football. Ils s’échauffent avant le match. Certains par des mouvements de hula-hoop. D’autres en mangeant des madeleines bretonnes. Une joueuse est allongée par terre, jambes relevées à la verticale :

– C’est pour faire descendre…
– Descendre quoi ? Tes chaussettes ?
– Mais non, la pression !

Ce soir, le metteur en scène Massimo Furlan fait rejouer à des habitants la mythique demi-finale de la coupe du monde de 1982, à l’issue cuisante pour les bleus. Le Cauchemar de Séville, tragédie en deux actes avec prolongations. Commentée par Vincent Simonneaux et Cyrille L’Helgoualch, l’aventure théâtrale rejoue, sans ballon ni adversaires, les mouvements et actions de l’ensemble du match.

Trois ans et deux confinements plus tard

Dans le vestiaire, on entend des mains qui claquent sur des cuisses en short, pour tromper l’attente et la tension qui monte. « L’équipe s’est rencontrée pour la première fois en janvier 2019, raconte le vrai faux entraîneur Hubert-Hidalgo. Trois ans, des confinements et quantité de rebondissements plus tard, nous y voilà ! »

Pour se préparer, certains habitants ont regardé encore et encore le match de 1982. D’autres ont écrit leurs déplacements sur des fiches bristol ou les ont matérialisés visuellement sur des cartes. « Dans un studio, avec notre voix et nos mots, on a fait un enregistrement audio de nos mouvements pendant les 2h20 de match. Il est diffusé dans notre oreillette », explique Carole-Lopez, prof de yoga.

« On est en demi-finale ! »

Pour s’entraîner, Anne Cécile-Genghini a fait du jogging fractionné et retrouvé ses co-équipiers pour un soccer mensuel. « Je fais à peine la différence entre un coup franc et un corner, ça rajoute à l’absurde, sourit-elle. L’idée n’est pas de connaître les mouvements de notre personnage par cœur, mais de l’incarner et d’être fidèle aux grands moments du match. Et puis je m’appuie sur l’esprit d’équipe : en trois ans, il est devenu très fort. »

Dans le vestiaire, ça sent le baume du tigre des muscles qu’on tente d’assouplir. Les joueuses et joueurs sont « chauds ». « Profitez de ce moment unique, parce qu’on est quand même en demi-finale de la coupe du monde ! rappelle le coach Hubert-Hidalgo. Je sens le plein d’énergie entre nous. Cette énergie, on va la mettre sur le carré vert ! » Anne Cécile-Genghini fait un dernier étirement, s’apprête à entrer sur le terrain. Puis un doute l’assaille : « C’est lent, quand même, ce match. Est-ce que le public ne va pas s’ennuyer ? »

« J’adore ça, les délires collectifs »

« Houuuuuuuuuuuuu ! » : au milieu de la première mi-temps, dans la tribune de 2000 spectateurs, Anne-Claire vient subitement de se lever, énervée, pour huer un arbitre fantôme : « Oui, je sais, en réalité il n’y a pas d’arbitre, mais on est à fond ! Ce match c’est une grosse blague. Tout le monde le sait mais fait semblant d’y croire. J’adore ça, les délires collectifs. » En effet, dans les tribunes, ça chante, ça encourage, ça applaudit, ça lance une ola par ci, un clapping par là. Les drapeaux bleus s’agitent, les commentaires brillants du match grésillent dans les transistors et ça sent bon la galette saucisse, comme à Séville. « On est tous là, à regarder un match dont on connait la fin. Sans ballon, sans enjeu. On est avec les joueurs et on ne les lâche pas, c’est n’importe quoi… mais ça marche ! », décrit une autre spectatrice, venue avec ses ados.

« J’avais l’impression de voir le ballon »

Hajar-Battiston regagne le vestiaire sur une civière. Elle vient de heurter le joueur allemand Harald Schumacher, symbolisé par une armoire placée sur le terrain : « C’était improbable ! Le public a hurlé au moment de mon accélération. Ça m’a porté. J’ai frappé l’armoire. J’étais chamboulée. Je ne savais plus où je devais tomber. Mes co-équipiers ont cru que j’étais blessée pour de vrai. Platini m’a tenu la main. J’avais imaginé cent fois la scène dans ma tête. Mais la vivre avec le corps, les gestes, les sensations, c’est très fort. Je n’arrive pas à redescendre. »

Coup de sifflet final. Le reste de l’équipe, suante et haletante, rapplique. « C’était dingue, j’avais l’impression de voir le ballon. On finit par le croire ! », hallucine Carole-Lopez. « Ah la vache ! On a couru, complètement pris par l’adrénaline, on a tout donné ! » rebondit Bruno-Janvion. « J’avais peur de ne pas tenir, souffle Laëtitia-Tigana. Je suis fan de foot depuis gamine. Ce que j’aime, c’est l’émotion que ça t’apporte. Ça t’emporte. J’ai jamais eu autant de supporters, autant de gens avec moi. Petit à petit, je me suis vraiment retrouvée en demi-finale de la coupe du monde. »

« Change le cours de l’histoire ! »

Aurélie-Bossis n’a pas vu le match passer : « J’ai vraiment ressenti les moments tristes, les moments gais. Devant une action loupée, j’ai réellement pensé « quel dommage! ». Quand il y a eu le but français, j’ai un peu triché, j’ai été embrasser mes coéquipiers. Bossis ne le fait pas dans le match, mais j’étais tellement contente ! Je voulais en profiter. »

Surtout qu’elle a eu la lourde tâche de tirer le but manqué qui « fait tout foirer » : « Ah la la, quel enfer ! C’est tragique. J’ai eu l’impression d’aller à l’échafaud. J’ai entendu : « Aurélie, reviens, n’y va pas ! Fais quelque chose. Change le cours de l’histoire… » Mais Bossis lui-même a dit, ensuite dans des interviews, qu’il n’avait pas culpabilisé. Il y a des choses qui nous échappent, on n’y peut rien. »

Augustin-Trésor vient de dédicacer une photo de Marius Trésor : « le spectateur a fait comme si j’étais le vrai. Impossible de lui dire non, j’ai signé. » Adrien-Giresse vit « un rêve de gamin, un aboutissement de fou, porté par le public ». Quelqu’un tente de modérer l’enthousiasme : « Je vous rappelle quand même que vous êtes éliminés ». Sans succès. « Non ! répond une joueuse. On dédramatise. Ce qui était douloureux est devenu joyeux… »

Audrey Guiller

L’été fertile des Tombées de la Nuit

Rendez-vous pour le festival Les Tombées de la Nuit était donné du 7 au 10 juillet 2022. Mais dès le 24 juin et jusqu’au 16 juillet, le temps fort se parait de quelques beaux bonus, en guise de montée croissante vers le bouillonnement festivalier.

Aujourd’hui, l’été 2022 des Tombées revient en mémoire comme une période dense et électrisante, débordante de spectacles, de liens et d’occasions saisies.

LES TERRITOIRES MULTIPLES DE L’ÉTÉ DES TOMBÉES

Les Trois Mousquetaires © Benjamin Le Bellec

Une scénographie déambulatoire vivante à Cleunay (Cité Fertile); le récit théâtral d’un homme à la recherche de ses ancêtres, à Bécherel (L’île sans nom) ; la conscience ravivée de l’urgence du collectif à travers une fête foraine 2.0, sur le parking de l’ancien Antipode (Le Dédale Palace) ; une ode vibrante à la liberté à travers une aventure circassienne interrogeant les notions de féminité et de masculinité, dans l’ancien Antipode (Dicklove) ; une déambulation/récit à hauteur d’humanité prenant le pouls du territoire de Cleunay (Grandeur nature) ; une échappée belle dans la magie de l’univers de Dromesko pour leur dernier spectacle, au campement de Saint-Jacques (Errance en Syllogomanie) ; un voyage chorégraphique brouillant notre perception de la réalité, dans le quartier du Liberté (Birdwatching 4×4) ; la rencontre entre danse et poésie, entre deux corps et deux générations, aux Ateliers du Vent (7 Samouraïs); un véritable marathon théâtral immersif en extérieur, aux lycées Saint-Vincent et Bréquigny (Les Trois Mousquetaires [La série]) ; une parodie absurde, poétique et joyeuse, un miroir sur nous-même, au Cloître Saint-Melaine (La Grande Tablée) ; une performance chorégraphique et musicale le temps de l’apparition/disparition d’un organisme gigantesque, place du Parlement (Anima) ; l’exploration chorégraphique d’un monde invisible, le surgissement du vivant sous nos pieds, aux Prairies Saint-Martin (Underground) ; de la pop organique en ballade dans la ville (Un week-end avec Stranded Horse), etc.

L’été 2022 nous a plus que jamais donné à voir la ville et le territoire. Si le manque (celui de 2020, celui de 2021) renforce la passion, alors peut-être que nous sommes revenus plus déterminés, que nous avons regardé plus loin, que nous avons gratté encore davantage la surface du territoire pour mieux en apprécier la multiplicité. Nous avons joué avec l’organicité de la ville, repoussé ses murs et ses pavés pour en dénicher les possibilités, les connexions. Nous avons agrandi notre espace de jeu, encore et encore, et joué avec la place du spectateur.

En 2022, l’été des Tombées a accueilli 11 créations, 39 compagnies et artistes, pour 91 représentations.

Grandeur Nature © Nicolas Joubard
We Can Be Heroes Kids © Benjamin Le Bellec
Underground © Nicolas Joubard
La Bande à Tyrex © Benjamin Le Bellec
Les Trois Mousquetaires © Benjamin Le Bellec
La Grande Tablée © Benjamin Le Bellec

Entretien avec Nicolas Joubard

« Je cherche toujours à inscrire l’environnement dans la photo » 

Museum of the Moon © Nicolas Joubard – 2017

Co-fondateur de l’Atelier Vertigo et membre du hub créatif Here We Are, Nicolas Joubard est photographe indépendant. Depuis le début des années 2000, il immortalise les aventures des Tombées de la Nuit. Silhouette noire vêtue, sans cesse en mouvement pour capter l’instant qui ne se répétera pas.

Quel est le début de votre histoire avec Les Tombées de la Nuit ?

Je travaillais pour un éditeur de city-guides quand j’ai commencé à faire de la photo professionnelle en festivals de musique. À l’époque des tirages et de l’argentique. D’abord pour La Route du Rock, puis les Trans Musicales et les Tombées de la Nuit. Puis je me suis spécialisé dans la photographie de spectacles vivants.

En quoi photographier les Tombées de la Nuit est particulier ?

On est sans cesse surpris. On sort en permanence de sa zone de confort. À chaque fois, je découvre des artistes étonnants, des formes de spectacles inédites. C’est très riche. D’abord parce que l’équipe des Tombées cherche à se renouveler. Elle ne s’endort pas sur le passé. C’est très agréable de travailler avec des gens si investis, qui ont autant d’énergie. Ensuite parce que ce sont des spectacles dont on se souvient. Enfin parce que dans mon travail au quotidien, ça m’oblige à m’immerger complètement dans ce qui se passe pour être réactif. En spectacle vivant, il faut savoir anticiper les effets de lumière, les déplacements. Un geste en amène un autre. Après une prise d’appui, l’artiste se lancera. Mais là, je dois toujours être prêt à tout !

Les lieux où sont joués les spectacles sont un élément important de vos photos ?

Les Tombées de la Nuit proposent des spectacles hors les murs dans des lieux qui ne sont a priori pas conçus pour ça. Le décalage entre le lieu et le spectacle fait donc partie de la performance. Je cherche toujours à inscrire l’environnement dans la photo. Pour garder trace, aussi, d’un spectacle qu’on ne reverra jamais dans les mêmes conditions. À chaque fois que je vais nager à la piscine Saint-Georges, par exemple, je me souviens des installations et spectacles qui ont transformé le lieu. Cela laisse une empreinte dans la ville.

Le public apparaît souvent dans vos clichés…

C’est le dernier pilier de ce que je cherche à capter : la ville, l’artiste et le public. Les propositions des Tombées bouleversent le rapport classique entre la scène et les spectateurs, qui ne sont pas passifs et ont une vraie place. Les artistes improvisent souvent en composant avec la réaction du public. À l’image, c’est très intéressant. Surtout parce que ce sont des artistes qui ont imaginé leurs propositions pour qu’elles déclenchent des réactions au niveau humain. Comme dans Haircuts by children de Mammaliian Diving Reflex, où des collégiens sont devenus coiffeurs.

Vous avez des souvenirs de moments compliqués ?

Ah, ah, en extérieur avec une météo caractérielle, bien sûr ! Je me rappelle l’évacuation du Thabor sous l’orage et les grêlons gros comme des balles de golf en plein spectacle de danse sur la dalle du Colombier. Je me souviens avoir galopé comme un fou sur Dominoes, pour être aux endroits clés quand les briques géantes tombaient. C’était génial.

Qu’avez-vous appris en cheminant vingt ans avec le festival ?

À composer avec la frustration. Au départ, je regrettais d’avoir été un mètre trop loin ou deux secondes trop tard. J’ai appris à me remettre tout de suite de mes échecs, les laisser filer pour continuer, comme dans une compétition de sport. J’ai appris à me déplacer sans cesse. Je m’habille en noir pour être discret et je suis toujours en mouvement, à l’affût. J’ai cette liberté avec les Tombées de la Nuit. J’ai appris à me placer. Au départ, j’étais impatient, je voulais « rentrer » beaucoup de photos pour me rassurer. Maintenant, je ressens le tempo du spectacle, j’ose me décaler et attendre le bon moment.

Propos recueillis par Audrey Guiller

LES RÉPERTOIRES MULTIPLES DES RELATIONS AVEC LES PUBLICS

L’ÉLARGISSEMENT DES PUBLICS

L’équipe Relations avec les publics a entrepris, en amont du festival, de poursuivre son travail de recherche de nouveaux publics. Un rendez-vous inédit a été mis en place, un temps de retrouvailles, plus ouvert vers l’extérieur que les « causeries » habituelles. En complicité avec l’Hôtel Pasteur, nous avons créé La salade, « Un rendez-vous par mois, autour d’un déjeuner, l’occasion de se rencontrer, de se retrouver, de parler de la programmation, de vos envies, de vos coups de coeur, de vos coups de gueule, de vous ! ». L’idée est simple : cuisiner avec un groupe de complices et servir une salade à l’heure du déjeuner, à prix libre, aux personnes conviées mais aussi à celles et ceux qui passent par hasard ou sont déjà présents sur place. À ce jour, l’événement a eu lieu en mai et en juin, et a rassemblé de nombreuses personnes. Une idée qui devrait se consolider dans la saison à venir.

L’ACCESSIBILITÉ

Parallèlement, et pour la troisième édition consécutive, l’équipe Relations avec les publics et l’équipe Communication ont travaillé de concert à l’élaboration du programme FALC (Facile à Lire et à Comprendre) de l’été, aux côtés d’Aurélie Chasles et épaulées dans la relecture du document par un groupe du Centre de réadaptation psychologique et sociale de la Thébaudais ainsi qu’un groupe de Radio Ados de l’Institut Médico Éducatif EDEFS 35. Une vidéo de présentation de la programmation estivale en Langue des Signes Française a également été réalisée, avec l’aide de Clémence Colin, chansigneuse et chanteuse sourde rennaise (présente d’ailleurs sur scène pendant le festival avec son groupe Albaricate qui y présentait un concert signé).

LES PROJETS IMPLICATIFS

Depuis les débuts, la place de l’habitant-spectateur est au centre des préoccupations de l’équipe des Tombées de la Nuit. Il s’agit de questionner la place du spectateur, de réinterroger le rôle du citoyen dans son environnement social. En favorisant le pas de côté, le regard décalé, les rencontres entre artistes et habitants lors de projets implicatifs, nous cherchons à comprendre et à rencontrer l’autre dans sa singularité, nous aspirons à l’enrichissement artistique et personnel de chacun. Lorsque, dès la genèse de l’écriture, il questionne la place du spectateur et son rapport à l’espace public, l’artiste retient notre attention.

Cet été, quelques projets implicatifs ont été présentés à Rennes :

• En résidence dans le quartier de Cleunay au mois de juin, l’artiste Anne-Sophie Turion est allée à la rencontre d’habitantes et habitants qui deviendront plus tard des figures intégrales de sa performance, Grandeur Nature, présentée au public le 2 juillet. Quinze jours d’immersion, quinze jours de vie sur place, quinze jours de déambulations, de rencontres, de discussions avec les associations, les habitués du café, le photographe du quartier, les jeunes du terrain de foot, etc. Le jour J, après avoir accepté de confier leurs récits de vie à l’artiste, dix d’entre eux sont devenus acteurs et actrices de cette déambulation au casque, performance riche et émouvante dans le quotidien du quartier Cleunay/La Courrouze.

• Toujours dans le quartier Cleunay, la compagnie Quignon sur rue, accompagnée par Les Tombées de la Nuit, présentait son projet Cité Fertile. Depuis 2020, Quignon sur rue va à la rencontre des acteurs locaux, met en lumière les initiatives sur le territoire et encourage les habitants à se réapproprier les espaces communs en végétalisant l’espace public.

• Enfin, nous avons poursuivi notre complicité avec le collège Échange, fidèle partenaire des Tombées de la Nuit depuis trois ans. L’établissement a accueilli deux spectacles dans sa cour. L’un d’eux, We can be Heroes de Groupenfonction, connu et aimé des Rennaises et Rennais, y était présenté dans sa version « Kids ». L’équipe Relations avec les publics est allée à la rencontre de dix-sept classes du collège pour leur présenter le projet et proposer aux élèves intéressés de devenir chanteurs et chanteuses de cette performance en playback. Ils étaient dix-sept, de 11 à 16 ans, à se prendre au jeu. Après une semaine de répétition avec la compagnie, deux « concerts » étaient présentés dans la cour du collège, le samedi du festival.

LE JARDIN DES TOMBÉES :
HEUREUSES RENCONTRES

L’ouverture du festival 2022 marquait également le retour de notre lieu de convivialité, Le Jardin des Tombées, au Cloître Saint-Melaine du Thabor. Privés de cet espace lors des deux éditons précédentes, nous l’avons retrouvé avec excitation. Le Cloître, c’est le lieu de retrouvailles, de rencontres entre les publics ou les artistes, de pause entre deux spectacles, c’est le lieu de la musique (toujours aux côtés d’I’m from Rennes), c’est le lieu de quelques formes artistiques inclassables et c’est aussi le lieu pour boire un verre et manger un bout.

Cette année, au Cloître, et pour entamer une démarche d’autonomisation énergétique, nous nous sommes associés à Loïc Communier de la société EvenTerra, qui entreprend de réduire la consommation énergétique des événements culturels, via l’énergie solaire et une approche globale de sobriété. Pour Les Tombées de la Nuit, il s’agissait d’alimenter au maximum la scène des OEils et la cabine DJ du Cloître via le solaire.

Une dimension culinaire s’ajoutant également à son travail, nous avons fait appel à lui pour la gestion du restaurant du Cloître afin d’intégrer la restauration à la réflexion globale sur le fonctionnement du lieu.

Loïc Communier et son équipe y proposaient, dans une ambiance conviviale et basée sur l’échange, des produits locaux (produits à moins de 20km autour de Rennes) et frais sélectionnés chaque jour. Une expérience fructueuse que nous souhaitons prolonger afin de préciser, chaque année davantage, les contours de ce que nous imaginons comme une sobriété joyeuse.

La sobriété énergétique vue par Les Tombées de la Nuit

Repenser (joyeusement) des spectacles plus sobres en énergie

Le Jardin des Tombées © Benjamin Le Bellec

En juillet dernier, Les Tombées de la Nuit ont proposé des concerts, spectacles et installations dans le cloître de l’église Saint-Melaine. Le lieu a été pensé pour être le moins énergivore possible. Plutôt qu’une frustration, Les Tombées de la Nuit voient la transition énergétique comme une source de créativité.

Pendant trois jours, musiciennes, musiciens et DJ ont joué dans le cloître de l’église Saint-Melaine tandis que la compagnie OpUS et Tristan Kruithof y présentaient leurs dernières créations. Les spectateurs et spectatrices en sont repartis remplis de sons et gonflés d’émotions. Rassasiés des plats qu’ils ont mangés sur place. Ils sont sortis « pleins » d’un spectacle pourtant organisé « avec moins ». Le Jardin des Tombées est un lieu énergétiquement sobre. Les Tombées de la Nuit ont fait appel à Loïc Communier, co-fondateur d’EvenTerra pour les accompagner dans une réflexion sur la transition énergétique.

« Dans le cloître, le son de façade a été amplifié par des enceintes 100% solaires et très basse consommation, de la start-up française Pikip Solar Speakers, explique Loïc Communier, qui a aussi imaginé un stand de restauration spécial pour le public. Avec une bouteille de gaz, une seule prise pour un frigo et des produits achetés à moins de 50 kilomètres, nous avons servi 700 couverts. »

Négawatter les spectacles

Dans le monde de la création artistique et du spectacle vivant aussi, la question de la transition énergétique se pose. Un spectacle nécessite de l’énergie pour amplifier le son, générer des lumières, préparer de la nourriture pour le public. Il implique le déplacement du matériel et des spectateurs. « À nous d’imaginer des événements qui pèsent moins lourd », lance Loïc Communier.

Pour Lénaïc Jaguin, référent Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) aux Tombées de la Nuit, la réflexion peut commencer avec les techniciens : « Par peur de manquer ou pour éviter que l’installation ne lâche en plein spectacle, les techniciens ont toujours été habitués à prévoir une capacité électrique maximale ». Loïc Communier confirme : « Dans le secteur, la question de la sobriété énergétique ne se posait pas. Inconsciemment, on pensait aussi que plus il y avait de lumière et de son, plus l’événement paraissait important. »

Sa démarche est de « négawatter » les scènes et sites, c’est-à-dire : réduire le nombre de watts nécessaires à l’événement. Loïc Communier explique : « Il ne s’agit pas de se dire : remplaçons les ampoules par des LED et mettons-en deux fois plus. Mais plutôt de se demander : Peut-on faire sans cet éclairage ? Pourquoi ne jouerait-on pas ce spectacle de jour ? A-t-on vraiment besoin de proposer des frites ? » Au cloître par exemple, le plat mijoté et le bar à fromages locaux a plu au public.

Être plus créatif et plus joueur

Lénaïc Jaguin ne nie pas que la question de sobriété énergétique est aussi liée au coût croissant de l’énergie : « Mettre deux semi-remorques de matériel sur la route coûte deux fois plus cher qu’avant. » Mais il ne conçoit pas le sujet comme un pur calcul comptable : « On ne veut pas se contenter de dénombrer combien de gobelets recyclables on met en circuit à chaque spectacle. Ce qui nous intéresse, c’est de dessiner des événements, de réfléchir des créations qui intègrent dès le départ le critère de sobriété énergétique. Pas comme une contrainte frustrante, mais comme un paramètre qui pousse à être plus créatif et plus joueur. »

Pourquoi pas de belles mises en scènes sans lumière, des événements plus petits, dans des micro-lieux éphémères ou décentralisés ? « Tout spectacle ne se résume pas à un immense festival, autour d’une grosse scène équipée d’une dizaine d’amplis et de retours, estime Loïc Communier. On peut imaginer une nouvelle offre artistique et on verra comment les publics embarquent dans d’autres aventures. »

Les artistes ne sont pas absents de la réflexion. Car pour Les Tombées de la Nuit, on peut tout à fait parler de sobriété sans nuire ni sacrifier la qualité artistique. « Les artistes sont de plus en plus nombreux à porter un message écologique. Ils s’intéressent donc plus qu’avant à l’aspect technique de leurs créations », confirme Lénaïc Jaguin. Loïc Communier ajoute : « Pour plein d’artistes, jouer sur une grosse scène est encore un symbole de réussite et de notoriété. Mais j’en croise beaucoup qui ont envie d’autres choses. Les modèles changent. »

Dans cette réflexion sur la transition énergétique, Loïc Communier se décrit comme un alchimiste, qui avance un petit pas après l’autre sur un chemin où il n’est « pas sachant mais apprenant ». Il expérimente, réfléchit et corrige. « Je me sens à l’aise avec Les Tombées de la Nuit car notre démarche est commune : on cherche en faisant, on agit même si on n’est pas parfaits. »

Propos recueillis par Audrey Guiller

DERRIÈRE LES SPECTACLES, L’ACCOMPAGNEMENT DES ARTISTES

Toute l’année, Les Tombées de la Nuit ont à coeur de soutenir les artistes dans les différentes étapes de leurs réalisations, adaptant le format de leur compagnonnage aux besoins particuliers des projets. Puisque nous ne disposons pas de lieu de résidence, il s’agit d’un compagnonnage nomade, adapté, basé sur l’échange, l’écoute et dont le but est de faire émerger le potentiel d’un projet.

Focus sur quelques artistes qui ont marqué notre année :

ANNE-CÉCILE ESTEVE

L’histoire entre Les Tombées de la Nuit et la photographe Anne-Cécile Esteve a commencé en 2020, suite à une rencontre avec Claude Guinard, directeur des Tombées de la Nuit. C’est le début de Métamorphées ou l’éloge de l’aube, projet photographique sur le rapport à l’image de soi à travers la phase de réveil. Saisir des visages « hors contrôle », ceux-là même qu’on ne dévoile que dans la sphère intime, voilà l’objet du projet.

Des portraits en noir et blanc, sur fond noir, une lumière de studio… Accompagnée par Les Tombées de la Nuit, Anne-Cécile Esteve prend contact avec une quarantaine de futurs modèles. Elle dort chez eux ou les accueille chez elle. Avant la nuit, elle monte son studio photo, cale la lumière pour que dès le matin, la phase de réveil opère immédiatement devant son objectif.
Avec Métamorphées, l’artiste effleure ce passage très bref d’un état de conscience à un autre, au cours duquel l’esprit n’a plus de contrôle. Le corps s’exprime, se contorsionne, les mains touchent, frottent, caressent. C’est une métamorphose, une mue au sortir de la phase paradoxale.
En 2021, ses portraits ont fait l’objet d’une exposition sur les abribus de la ville. Plus tard cette année-là, et pour prolonger son travail sur le territoire, Anne-Cécile Esteve s’invitait à nouveau à dormir chez des inconnus pour les photographier au saut du lit, cette fois-ci dans le quartier Bréquigny. Cette série fut exposée au Centre Social Aimée Césaire, d’avril à septembre 2022.

Après une connexion facilitée par Les Tombées de la Nuit, elle a collaboré avec Coallia à l’occasion des 60 ans de l’association.

COMPAGNIE L’INSTANT DISSONANT

Fondée en 2016 par Guillaume Lambert, la compagnie L’Instant Dissonant s’est installée à Bécherel pendant la pandémie, suite à l’appel de Simon Gauchet et son équipe qui souhaitaient faire vivre le Théâtre de bécherel pendant cette période empêchée. Claude Guinard en a été informé et s’est penché sur le travail de cette compagnie proposant un théâtre itinérant, immersif, des évènements, des fêtes ou des cérémonies détournées et théâtralisées. Une fois le fil de cette première connexion tiré, Les Tombées de la Nuit ont commencé à accompagner la compagnie, en tant que co-producteurs, certes, mais surtout dans une démarche de compagnonnage à la carte, sur mesure. Il a permis la présentation de leur création L’île sans nom à Bécherel, en juin 2022.

LES FILMS DU MACADAM

Pendant le festival, dans la cour de Langue et Communication, Les Tombées de la Nuit présentaient le projet photographique et audiovisuel Au-delà de la peau des Films du Macadam, une série de quatorze portraits d’habitantes et habitants du quartier de Maurepas, aux corps peints et transformés en fonction de leurs histoires, de leurs rêves et aspirations.
L’association Les Films du Macadam promeut la création cinématographique comme outil d’émancipation et de compréhension du monde contemporain. Outre la photographie et le cinéma, ses oeuvres intègrent la peinture sur corps, le théâtre, la danse, la musique, l’écriture, etc.
Les Tombées de la Nuit avaient rencontré l’équipe de l’association à Maurepas lors de son travail de fond auprès des habitants du quartier. Une rencontre riche qui interrogeait déjà la forme future du projet. Comment le sortir de sa phase de travail, sous quelle forme le donner à voir ? Ont suivi de nombreuses discussions, de nombreux allers-retours entre Les Tombées de la Nuit et les artistes. Leur travail sensible et humain, leur travail de territoire nous a touchés et poussés à mettre le projet en lumière début juillet, au coeur d’une installation imaginée avec les artistes Agnès Dupoirier, Matagold et Cyril Andres.

Spectacles et artistes, actifs en 2022, que nous avons accompagnés ou continué à accompagner :

• ¡ Colectiva ! • La Ko-Compagnie (FR)
• Le Rance n’est pas un fleuve • Kali & Co (FR)
• L’île sans nom • L’Instant Dissonant (FR)
• S E C R E T S de Rennes • Dan Acher (CH)
• Grandeur Nature • Anne-Sophie Turion (FR)
• Michèle • Patrice de Bénédetti (FR)
• Rettilario • Sara Leghissa (IT)
• Chamonix • 26000 Couverts (FR)
• Adieu ! • Yann Lheureux et Patrice de Bénédetti (FR)
• Au-delà de la peau • Les films du Macadam (FR)
• Métamorphées ou l’éloge de l’aube • Anne-Cécile Esteve (FR)

Plus largement, nous avons accompagné ces artistes, qu’il s’agisse de la continuité d’un compagnonnage ou d’une nouvelle collaboration autour d’une création :

• Action Hero (UK) • Oh Europa • 2019 à 2022
• Association W / Jean Baptiste André (FR) • Deal • 2019 à 2022
• Compagnie Ocus (FR) • Le Dédale Palace • 2020-2022
• Stéphane Hardy (FR) • Hoper • 2020 à 2022
• David Monceau (FR) • Clarté • 2020 à 2022
• GÜZ II (FR) • Iceberg • 2020 à 2022
• Quignon sur Rue (FR) • Cité fertile • 2020 à 2022
• 1 montreur d’ours (FR) • Les classiques du GRAMI • 2019 à 2022
• Anna Rispoli (IT) • Tes mots dans ma bouche & A Certain Value • 2018 à 2022
• Captain Boomer (BE) • Whale & Pasture with cows • 2017 à 2022
• Clédat & Petitpierre (FR) • Vénus Parade • 2019 à 2022
• Collectif 49701 (FR) • Les Trois Mousquetaires • 2018 à 2022
• Collectif A/R (FR) • Placement Libre • 2020 à 2022
• Collectif ÈS (FR) • Loto 3000 • 2020 à 2022
• Compagnie 2 rien merci (FR) • La Sonothèque Nomade • 2020 à 2022
• Compagnie OpUS (FR) • Le Grand Débarras • Artistes Compagnons
• L’Âge de la tortue (FR) • Fusée de détresse • 2018 à 2022
• L’Amicale de Production (FR) • Big Data Yoyo • 2020 à 2022
• L’Atelier des possibles (FR) • Un monde en bas de chez moi • 2021 – 2022
• Le Corridor (BE) • Thinker’s Corner & Patua Nou • 2017 à 2022
• Luke Jerram (GB) • Museum of the Moon • 2018 à 2022
• Massimo Furlan/Numero23Prod (CH) • Nocturne, Blue Tired Heroes, Le Cauchemar de Séville, tragédie en 2 actes avec prolongation • Artiste Compagnon
• Marilyne Grimmer (FR) • Bon baisers de Rennes / Poscards from Elsewhere • 2021, 2022
• Sacekripa (FR) • Vrai • 2020 à 2022
• Thank You For Coming (FR) • Finis ton assiette • 2020 à 2022

Dans cette année de retrouvailles qu’est 2022, nous avons également croisé la route de nombreux artistes complices des Tombées de la Nuit, venus présenter leur dernière création ou la dernière version d’un spectacle précédemment programmé : la compagnie OpUS, Jordi Galí, Tristan Kruithof, Patrice de Bénédetti, Stranded Horse, Goulven Hamel, Groupenfonction, Nicolas Buysse, Benjamin Vandewalle, le Théâtre Dromesko ou encore Olivier Mellano.

Entretien avec le musicien Olivier Mellano

« Je suis convaincu que le public peut tout recevoir »

Mellano-Soyoc © Nicolas Joubard

En mai avec son projet Éon et le chœur de chambre Mélisme(s), en juillet en duo rock avec Mona Soyoc : cette année, Olivier Mellano a donné deux rendez-vous aux Tombées de la Nuit. Le musicien breton revient sur son histoire de presque vingt ans avec le festival.

Quel est votre premier souvenir aux Tombées de la Nuit ?

Une bataille géante de polochons dans la salle de la Cité ! C’était en janvier 2004, pour Réveillons-Nous. Nous y avions une carte blanche avec le groupe Bed. C’était une soirée très douce et enveloppante, avec des lits partout et des pièces pour clavecin. Là, j’ai vite compris que Claude Guinard (directeur artistique des Tombées de la Nuit) allait proposer au public des formes uniques et un peu en marge. Ça a été le début d’une collaboration avec Les Tombées, marquée par la confiance et la fidélité.

Qu’est-ce que Les Tombées de la Nuit et vous avez en commun ?

L’envie d’amener les gens dans des endroits inhabituels, de tester de nouveaux espaces géographiques et artistiques. La conviction que le public peut tout recevoir, à condition d’y travailler : on lui fait confiance, on ne veut pas penser à sa place ni niveler nos exigences par le bas. Les Tombées de la Nuit m’ont accompagné dans des moments cruciaux. Je pense à No Land, en juillet 2016, place du Parlement. Au début, j’avais juste imaginé une pièce contemporaine pour un bagad. Sur le papier, cela pouvait sembler coûteux, voire un peu austère. Les Tombées de la Nuit m’ont suivi : c’est rare et précieux, les gens qui prennent ce risque. Ils m’ont présenté le formidable bagad de Cesson-Sévigné puis j’ai embarqué le chanteur Brendan Perry (Dead can Dance) dans l’aventure. C’était incroyable.

Comment Les Tombées de la Nuit accompagnent les artistes, selon vous ?

Ils offrent aux artistes un support crucial : la confiance. Comme ils savent ce qu’ils font, ils amènent les discussions quand il le faut, donnent le temps au travail, évitent la pression. Cela donne envie d’être à la hauteur. Comme lorsque Claude, en 2014, m’a proposé un duo de musique improvisée avec l’instrumentiste Loup Barrow, aux Étangs d’Apigné. En live, le courant peut ne peut pas passer. Mais les matières de nos instruments se sont mélangées à merveille. Les Tombées de la Nuit savent mettre en présence des forces différentes pour créer du nouveau.

Un lieu où vous avez aimé jouer ?

À Maurepas, au milieu des tours, en 2007. Pour le ciné-concert Duel. Trouver des endroits particuliers, des contextes intéressants pour que les œuvres résonnent : c’est une autre force des Tombées de la Nuit. À Maurepas, on a pu jouer de la musique noise et bruitiste devant des personnes âgées et des enfants et le retour du public a été super. C’était pointu et populaire. Je pense aussi au ciné-concert L’Aurore, en 2006, à la chapelle Saint-Vincent. C’était un magnifique cadeau acoustique, qui a fortement intensifié la scène de mariage, dans le film.

Qu’est-ce qui vous étonne encore dans cette collaboration ?

Je suis étonné de la fraicheur et de l’enthousiasme, sans lassitude, qui continuent à émaner des Tombées de la Nuit. Ils ne cessent de se remettre en question, d’être curieux, de surprendre le public, de se métamorphoser pour tromper la routine. À l’image des deux projets que j’y ai présentés cette année. En mai, Éon, une composition classique contemporaine avec le chœur de chambre Mélisme(s). En juillet, un duo rock avec Mona Soyoc au Cloître du Thabor. Ces deux propositions peuvent paraître aux antipodes, esthétiquement complètement opposées. Pourtant, elles sont liées : dans le monde harmonique, dans la couleur d’écriture, dans un même mouvement qui passe du sombre à quelque chose de plus lumineux.

Propos recueillis par Audrey Guiller

LA BOUCLE EST BOUCLÉE

En cette année 2022, j’ai décidé de rendre mon tablier et de partir à la retraite. Je profite de cette rétrospective pour remercier l’ensemble des complices de l’aventure débutée en 2003 : les artistes bien sûr, le Conseil d’administration, l’équipe, les techniciens et techniciennes, les habitantes et habitants-complices et tous nos partenaires. Je souhaite également la bienvenue à Morgane Le Gallic qui assure dorénavant le rôle de directrice des Tombées de la Nuit. Belle route à elle et à son équipe. MERCI.

Claude Guinard

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