
À l’abord de l’été, Les Tombées de la Nuit se font attendre, rendez-vous de plein-air entre les artistes et Rennes, écrit en complicité tout au long de l’année.
L’année 2025 a été mouvementée et l’actualité continue de l’être. L’époque a son petit air années 30, sa même musique. Le populisme d’aujourd’hui avance pourtant d’une manière plus pop et colorée, en version 2.0. La retouche des images, censée nous rajeunir, est surtout une retouche de la vérité, sous la promesse d’une réalité dite augmentée. Augmentée de quoi ? Dans ce déluge d’absurdités, les artistes arrivent à nous saisir encore, jouent de ces couleurs saturées et criardes pour nous réveiller.
À l’instar de l’équipe costarmoricaine de la Société Protectrice de Petites Idées dans son spectacle Violent. Collectant images et gifs pris sur le web et sur le vif, les deux créatrices Nanda Suc et Aude Martos décalent, dans un spectacle visuel survolté, l’image mignonne et rigolote. Et si c’était violent en réalité ? Dans Combustion, le spectacle documentaire taille géante qui sera joué esplanade Charles-de-Gaulle, un montage saccadé enchaîne sans répit des images de feux d’artifice tirés dans toutes les cérémonies du monde, des olympiades aux défilés militaires des dictatures. Car dans feu d’artifice, il y a bien artifice. Et l’art du divertissement est une arme de diversion massive. Pas de propos moralisateur, un petit mot, un seul, résister. L’art est souvent politique quand il n’essaye pas de l’être.
Résister, c’est faire preuve d’amour contre la violence comme le raconte l’un des très beaux spectacles du festival, Nous vous parlons d’amour. C’est faire preuve d’amour, en collectant dans tout Rennes des histoires d’amour pour les mettre en image à l’automne. Ce projet, mené par Anne-Cécile Esteve, s’intitule À vos amours et fera une dernière escale pendant le festival.
Résister en pédalant, à l’image du musicien JOUBe traversant la France à vélo, en diagonale, des Nuits de Fourvière aux Tombées de la Nuit. Il a rêvé à une utopie concrète, à des concerts qui seraient le reflet de rencontres et enregistrements saisis pendant son voyage. C’est aussi à vélo que l’équipe de Galapiat a inventé l’épopée des Maîtres du désordre, une tournée cousue main entre performance de cirque et pédalage tout terrain, de Pacé à Rennes, en passant par Le Rheu, Laillé, Chartres-de-Bretagne.
Résister enfin, c’est dérouler un Tapis Rouge pour les enfants dans un spectacle hors norme spécialement inventé pour Rennes, pour énoncer leurs droits bafoués partout en France et dans le monde, inventer au-delà de la convention de Genève, leurs droits à rêver. Tapis Rouge aura mobilisé toute une année un orchestre et un choeur de 500 enfants et adultes. Aussi révoltée que rêveuse, cette aventure nous porte et nous emporte par l’exceptionnel engagement de son équipe, et notamment sa cheffe de choeur et de coeur, Corinne Ernoux.
Résister, quand le monde culturel et les politiques publiques se font attaquer pour les raisons que l’on connaît.
Pour clore cet édito, ce sont les mots de Lola Lafon, citant James Baldwin dans un article paru récemment, qui nous inspirent : « L’amour n’a jamais été un mouvement populaire. Le monde tient debout, littéralement, grâce à l’amour et la passion de très peu de personnes. Sinon, bien sûr qu’on peut désespérer {…} Arpentez les rues de n’importe quelle ville, n’importe quel après-midi et regardez autour de vous. Ce dont il faut se souvenir, c’est que vous voyez, ce que vous regardez, c’est aussi vous. Tous ces gens que vous regardez c’est aussi vous. Vous pourriez être cette personne. Vous pourriez être ce monstre {…} Mais vous avez pris la décision de ne pas l’être. » 1
Morgane Le Gallic, directrice des Tombées de la Nuit
1 L’aridité décomplexée du coeur, Lola Lafon, chronique dans Libération le 19 avril 2025.