Photo : © Rouge Merveille © Nicolas Joubard
— Publié le 10 juillet 2024 —
Là, déposer quelque chose avec soin
Rencontre avec Chloé Moglia, directrice de la compagnie Rhizome

Chloé Moglia est suspensive – elle pratique l’art de la suspension, discipline de cirque – et directrice de la compagnie Rhizome. En tant qu’artiste associée aux Tombées de la Nuit, elle a présenté deux de ses créations à Rennes cette année. Elle aime le dialogue, la collaboration, et fuit le cliché d’un artiste qui plaquerait ses idées sur le monde.

Quelle est votre histoire avec Les Tombées de la Nuit ?

En 2019, je suis venue avec La Spire, au jardin du Thabor. Cinq femmes, dont je faisais partie, se sont suspendues à une immense spirale et jouaient avec le vide, accompagnées par une musicienne. En 2024, j’ai présenté Bleu Tenace lors d’un Dimanche à Rennes, à Maurepas, en lien aussi avec Lillico. Et je suis revenue pour le festival, avec quatre représentations de Rouge merveille, une nouvelle création en collaboration avec Mélusine Lavinet-Drouet.

Pourquoi avoir accepté d’être artiste associée aux Tombées de la Nuit ?

Je vis dans le Morbihan, on est un peu voisins. C’est important pour moi d’être associée à une structure proche géographiquement. Comment faire du bon travail sur un territoire qu’on ne connaît pas ? J’aime quand la structure a autant envie que moi de travailler avec le terrain. C’est situé. C’est une matière dont je peux me saisir. Ça permet de sortir du cliché de l’artiste créateur qui a de grandes idées qu’il plaque un peu partout. Moi je travaille « avec », « autour », « à l’écoute de », « en dialogue ».

Comment ce travail de territoire a influencé Bleu Tenace ?

Les Tombées de la Nuit et Lillico ont réfléchi à un lieu de représentation, une cour d’école du quartier, pour de bonnes raisons. On s’est mis d’accord pour tester. J’ai visité le lieu, je l’ai ressenti, on m’a raconté les histoires qui le traversent. Dans ma pratique, j’ai fait attention à ce tissu. Cela m’a aidée à déployer une sorte de tact. Pour moi, un artiste ne doit pas rester en surface. Le tact implique et de la retenue, et du contact. Quand je travaille quelque part, j’ai envie de rencontrer les gens et les endroits pour y déposer quelque chose avec soin.

Comment Les Tombées de la Nuit vous accompagnent ?

Le mot « accompagnement » ne me semble pas juste. Je ne suis ni une enfant qu’on accompagne à l’école, ni porteuse d’un art tout-puissant qu’il faudrait servir. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler collectivement avec une structure : de se questionner ensemble sur des thèmes importants pour eux et pour moi, de partager une réflexion. Aller simplement voir une structure pour dire : « j’ai un prochain spectacle, il me faut de l’argent » ou qu’on ne parle que de calendrier pour une représentation, ça ne me satisfait pas. J’ai besoin qu’on croise nos idées pour « faire ensemble ».

Où vos questionnements croisent-ils ceux des Tombées?

Le travail en espace public, qui est l’ADN des Tombées, me tient aussi à cœur. On a en commun cette envie joyeuse de faire exister l’art au milieu de la vie, et pas à côté. Dans l’espace public, l’art est en porosité, en ouverture avec le reste. Les artistes ne sont pas les seuls acteurs de ce qui a lieu. Une communauté de gens a lieu. Ensemble, on regarde, on parle, on bouge, on respire, on s’accroche. Penser ainsi crée une façon particulière de considérer le public.

Comment percevez-vous le public?

Dans une représentation, il n’y a pas des artistes actifs et des spectateurs passifs. Quand je joue, je regarde beaucoup le public. Inversement, l’attention du public est en engagement corporel fort. C’est vraiment une participation. Un « spectacle » est un moment particulier où chacun accorde sa confiance à l’autre. Je ne crois pas à l’idée d’un artiste connecté avec le ciel, qui en transmettrait des messages que le public devrait décrypter. Ça crée une situation étrange où une catégorie de gens seraient hyper contents d’en admirer une autre qui se la pète. Je suis partisane d’un travail artistique plus scrupuleux, plus honnête, où structure, artiste et public agissent ensemble, en équité.

Comment construire cette équité?

La clarté est un ingrédient. Par exemple, la façon dont Les Tombées s’adressent au public à travers leur programme FALC (Facile à lire et à comprendre) m’inspire beaucoup. On n’est pas simplement dans un discours « il faut être inclusif », mais on travaille à l’être. Si chaque maillon du monde artistique abandonne ses postures et ses langages obscurs pour « initiés », alors chacune et chacun récupère sa puissance d’agir.

Propos recueillis par Audrey Guiller

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