Co-fondateur de l’Atelier Vertigo et membre du hub créatif Here We Are, Nicolas Joubard est photographe indépendant. Depuis le début des années 2000, il immortalise les aventures des Tombées de la Nuit. Silhouette noire vêtue, sans cesse en mouvement pour capter l’instant qui ne se répétera pas.
Quel est le début de votre histoire avec Les Tombées de la Nuit ?
Je travaillais pour un éditeur de city-guides quand j’ai commencé à faire de la photo professionnelle en festivals de musique. À l’époque des tirages et de l’argentique. D’abord pour La Route du Rock, puis les Trans Musicales et les Tombées de la Nuit. Puis je me suis spécialisé dans la photographie de spectacles vivants.
En quoi photographier les Tombées de la Nuit est particulier ?
On est sans cesse surpris. On sort en permanence de sa zone de confort. À chaque fois, je découvre des artistes étonnants, des formes de spectacles inédites. C’est très riche. D’abord parce que l’équipe des Tombées cherche à se renouveler. Elle ne s’endort pas sur le passé. C’est très agréable de travailler avec des gens si investis, qui ont autant d’énergie. Ensuite parce que ce sont des spectacles dont on se souvient. Enfin parce que dans mon travail au quotidien, ça m’oblige à m’immerger complètement dans ce qui se passe pour être réactif. En spectacle vivant, il faut savoir anticiper les effets de lumière, les déplacements. Un geste en amène un autre. Après une prise d’appui, l’artiste se lancera. Mais là, je dois toujours être prêt à tout !
Les lieux où sont joués les spectacles sont un élément important de vos photos ?
Les Tombées de la Nuit proposent des spectacles hors les murs dans des lieux qui ne sont a priori pas conçus pour ça. Le décalage entre le lieu et le spectacle fait donc partie de la performance. Je cherche toujours à inscrire l’environnement dans la photo. Pour garder trace, aussi, d’un spectacle qu’on ne reverra jamais dans les mêmes conditions. À chaque fois que je vais nager à la piscine Saint-Georges, par exemple, je me souviens des installations et spectacles qui ont transformé le lieu. Cela laisse une empreinte dans la ville.
Le public apparaît souvent dans vos clichés…
C’est le dernier pilier de ce que je cherche à capter : la ville, l’artiste et le public. Les propositions des Tombées bouleversent le rapport classique entre la scène et les spectateurs, qui ne sont pas passifs et ont une vraie place. Les artistes improvisent souvent en composant avec la réaction du public. À l’image, c’est très intéressant. Surtout parce que ce sont des artistes qui ont imaginé leurs propositions pour qu’elles déclenchent des réactions au niveau humain. Comme dans Haircuts by children de Mammaliian Diving Reflex, où des collégiens sont devenus coiffeurs.
Vous avez des souvenirs de moments compliqués ?
Ah, ah, en extérieur avec une météo caractérielle, bien sûr ! Je me rappelle l’évacuation du Thabor sous l’orage et les grêlons gros comme des balles de golf en plein spectacle de danse sur la dalle du Colombier. Je me souviens avoir galopé comme un fou sur Dominoes, pour être aux endroits clés quand les briques géantes tombaient. C’était génial.
Qu’avez-vous appris en cheminant vingt ans avec le festival ?
À composer avec la frustration. Au départ, je regrettais d’avoir été un mètre trop loin ou deux secondes trop tard. J’ai appris à me remettre tout de suite de mes échecs, les laisser filer pour continuer, comme dans une compétition de sport. J’ai appris à me déplacer sans cesse. Je m’habille en noir pour être discret et je suis toujours en mouvement, à l’affût. J’ai cette liberté avec les Tombées de la Nuit. J’ai appris à me placer. Au départ, j’étais impatient, je voulais « rentrer » beaucoup de photos pour me rassurer. Maintenant, je ressens le tempo du spectacle, j’ose me décaler et attendre le bon moment.
Propos recueillis par Audrey Guiller