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Retour(s) sur 2023

2023 : RETOUR VERS LE FUTUR

Bilan et perspectives… Quoi de mieux que notre année 2023 pour illustrer cette idée de passage, de transition d’un état à un autre ? Avec l’arrivée de Morgane Le Gallic, leur nouvelle directrice et le départ de Claude Guinard, un vent de changement a soufflé sur Les Tombées de la Nuit. Au coeur de cette année de passage et de transmission demeure le projet fort de l’association, pilier mêlant projets artistiques inédits, participation citoyenne et dialogue avec l’espace public, en saison et en festival. 2023, année charnière donc, où nous avons plus que jamais saisi le projet dans son essence et dans son potentiel pour mieux construire l’avenir.

LA SAISON DES TOMBÉES DE LA NUIT

Partenariats et collaborations avec des structures rennaises, rassemblement dansant avec les habitants-complices, lieu investi pour la première fois ou lieux à nouveau explorés… La première partie de l’année 2023 nous a vus encore et encore jouer avec la ville et son territoire, dans une affirmation de l’ADN des Tombées de la Nuit et dans une réflexion toujours nourrie sur le lien entre artistes, habitants et territoire.

Puis, à la rentrée de septembre, période typique de navigation entre une programmation riche et une réflexion nécessaire sur le développement général du projet, la saison a repris sur les chapeaux de roues : projets signatures et partenariats, nouveau lieu investi, coopération avec un événement rennais inédit et continuation d’une complicité artistique. Une fin d’année dense et pleine de promesses.

LES SIGNATURES DES TOMBÉES DE LA NUIT

SAMEDI 4 FÉVRIER
Salle de La Cité

Adagio per un Nuovo Millennio – Capitolo Uno • Wooshing Machine

Spectacle intimiste et participatif en hommage aux fidèles habitants-complices des Tombées de la Nuit, dans le cadre du festival Waterproof.

DIMANCHE 5 FÉVRIER
Salle de La Cité

Le Municipal Bal • Compagnie On Off

Bal endiablé et convivial, à base de reprises habitées de Lady Gaga à James Brown, en passant par Joe Dassin, Queen et Daft Punk, toujours dans le cadre du festival Waterproof.

DIMANCHE 12 MARS
Les Halles en Commun

Buffet à vif • La Belle Meunière et La Poétique des Signes

Duo tragi-comique consacré à la destruction joyeuse, et jusqu’à l’anéantissement, d’un buffet soigneusement emballé, avant une séance de rangement apaisant et presque archéologique de ces vestiges.

SAMEDI 18 ET DIMANCHE 19 MARS
Chez OCUS, Saint-Germain-sur-Ille

Avec L’Animal • Massimo Furlan & Claire de Ribaupierre

Théâtre de témoignage mettant en scène un pêcheur et un chasseur interrogeant notre lien ou absence de lien avec le monde sauvage.

DU MARDI 28 AU JEUDI 30 MARS
Lycée Bréquigny et collège Émile Zola à Rennes
Collège Théophile Briant à Tinténiac

Une île • Simon Gauchet et Nathan Bernat

Prolongement de l’expédition plastique, poétique et citoyenne Le Radeau Utopique (présentée aux Tombées de la Nuit en 2016 et 2017) mais destinée, cette fois, aux salles de classe, pour mieux faire
vivre l’aventure aux scolaires. Un projet sans communication officielle présenté à six classes à Rennes et Tinténiac.

DIMANCHE 10 SEPTEMBRE
Ancienne prison Jacques Cartier

Un Poulpe peuple la ville • Kali & Co

En déambulation dans ce lieu chargé d’histoires, exploration des textes de Jeanne Benameur par des comédiens et comédiennes venant des marges, accompagnés par une création musicale de Laetitia Shériff.

DIMANCHE 24 SEPTEMBRE
Écomusée de la Bintinais

Rotofil • Les Armoires pleines

Récit, en deux tableaux, d’une transmission agricole, entre ferme et champs, entre discours personnel et témoignages de personnes en lien avec le monde paysan.

SAMEDI 7 OCTOBRE
Centre-ville de Rennes

LOStheULTRAMAR • Foco al Aire

Fascinante aventure sur l’espace public : tribu métisse venue d’au-delà des mers, aux tenues sombres et à la coiffe étrange, aux costumes d’ici et d’ailleurs, réunie dans une chorégraphie déambulatoire minimaliste et mystique, entre la place Sainte-Anne et Les Portes Mordelaises, entre la place du Parlement et la place Saint-Germain.

DIMANCHE 29 OCTOBRE
Les Ateliers du Vent

Hiboux • Les 3 Points de Suspension

Messe contemporaine explorant nos représentations du deuil, nos rapports aux disparus et nous invitant à plonger dans un monde où vivants et morts bricolent pour mieux vivre ensemble.

DU JEUDI 14 AU DIMANCHE 17 DÉCEMBRE
Baraque Dromesko, Saint-Jacques-de-la-Lande

Le Chant du Marabout • Théâtre Dromesko

Quatre soirées de spectacles en guise d’adieu au Théâtre Dromesko, compagnons de longue date des Tombées de la Nuit, et avant la reprise des lieux par l’association AY-ROOP.

JEUDI 28 ET VENDREDI 29 DÉCEMBRE
Salle de la Cité

L’Arrière-Pays • Les 3 Points de suspension

Aventure théâtrale qui voit quatre adultes partir pour une expédition interdite dans un pays qui n’existe pas, le pays du nulle part : l’enfance.

PARTENARIATS DIMANCHE À RENNES

Dimanche à Rennes tend à valoriser les évènements dominicaux en encourageant les expériences collectives. Il s’agit de mettre en lumière, sous une même bannière et avec une ambition commune de rencontres et d’expériences, les événements déjà en place, les événements historiques et tous ceux qui font bouger la ville – mouvements associatifs, sportifs et culturels, services et équipements.

Depuis 2016, Les Tombées de la Nuit co-pilotent le dispositif Dimanche à Rennes aux côtés de la ville de Rennes. Depuis ce lancement, et dans la lignée de leur travail originel sur le territoire et aux côtés de nombreux acteurs culturels de la Région, Les Tombées de la Nuit ont mis en place des partenariats sur mesure, au cas par cas, envisagés en fonction de la nature des projets, des besoins spécifiques d’une structure, en collaboration et en complémentarité avec leurs interlocuteurs et les organisateurs de projets.

Un dimanche dédié aux projets bretons émergents, des spectacles musicaux jeune public, des concerts pop dans un atelier de vélos, une exposition/concert au coeur d’un diorama géant, un clown acrobate à Maurepas, une déambulation musicale et clownesque de passage dans le métro, une block party ambiance disco-funk, la revisitation d’une mythique fanfare techno par des musiciens rennais, une rentrée dansante entre hip-hop et nature, un dimanche dédié à la scène graffiti, une installation stroboscopique et rotative nocturne, deux jours de portraits photographiques de Rennaises et Rennais…

En cette saison 2023, 19 événements sont nés de ces partenariats Dimanche à Rennes, toujours guidés par la transversalité des pratiques, par l’accessibilité et la diversité des propositions.

Ben Bertrand © Benjamin Le Bellec
Acid Brass © Nicolas Joubard
La rentrée Waouh du Triangle © Benjamin Le Bellec
Wall of Fame © Benjamin Le Bellec

NOS PARTENARIATS DIMANCHE À RENNES EN 2023

FOCUS SUR : DES COMPLICITÉS TERRITORIALES ET ARTISTIQUES

COOPÉRATION RENFORCÉE

Réflexion continue sur les possibilités offertes par l’espace public ; travail spécifique auprès des habitants ; co-pilotage du dispositif Dimanche à Rennes aux côtés de la ville de Rennes ; caractère nomade de notre structure qui ne dispose pas de lieu de spectacles ou de lieu de résidences ; étalement de nos propositions, sur l’année et sur le territoire… L’essence plurielle des Tombées de la Nuit est un terrain idéal pour la collaboration et la création de liens avec les acteurs locaux. Année après année, et à l’image d’une dynamique collective croissante constatable dans le secteur culturel rennais, des complicités naissent ou se renforcent avec, à leur coeur, des propositions artistiques fortes et inédites.

Installés dans l’ancienne usine Amora dans le quartier de Cleunay, Les Ateliers du Vent sont une de ces structures complices de longue date, et particulièrement depuis la naissance de Dimanche à Rennes en 2016. Espace d’expérimentation et de création pluridisciplinaire géré collectivement, lieu de création et de diffusion pour les artistes, lieu de convivialité aussi, les Ateliers du Vent ont accueilli auparavant plusieurs spectacles des Tombées de la Nuit, tandis que Les Tombées de la Nuit sont venues en soutien sur quelques propositions des Ateliers, dans le cadre de partenariats de saison.

La Kermesse © Benjamin Le Bellec

La coopération s’est encore approfondie en 2023, au printemps, en été et cet automne. Un va-et-vient productif et créatif qui a donné naissance à trois beaux projets :

• Du mardi 28 mars, au dimanche 23 avril, Les Ateliers du Vent et Le Bon Accueil – REVERB présentaient Exotic Immensity, en partenariat avec Les Tombées de la Nuit. À la croisée des arts visuels et de la musique, l’exposition nous embarquait dans une déambulation au coeur d’un diorama géant, décor de scène à l’ancienne quelque peu surréaliste, dans l’univers graphique du label Discrepant, et inspirée par l’ambiance moite et fiévreuse du Coeur des Ténèbres de Joseph Conrad. Pour une immersion complète, l’aventure s’achevait, dimanche 23 avril, par trois concerts d’artistes du label installés au coeur de l’exposition.

• Mercredi 5 et jeudi 6 juillet, dans les premiers jours de notre festival, nous présentions l’aventure théâtrale et foldingue De et par la possibilité éventuelle des devenirs envisageables de la compagnie 3615 Dakota, aux Ateliers du Vent. Soit trois heures d’un spectacle inclassable, entre théâtre de rue et entresorts forains, où le futur était objet d’enquête. Dans « leur centre de recherche pour futur en quête existentielle », les onze comédiens et comédiennes ont entrepris de guérir les angoisses du public à coup de trouvailles, de dispositifs scéniques et d’inventions interactives thérapeutiques.

• Dimanche 29 octobre, dans le cadre de leur événement « mortel », La Vilaine Frayeur, nous nous associions à nouveau aux Ateliers du Vent avec une représentation de Hiboux des 3 Points de suspension. Messe contemporaine explorant nos représentations du deuil, Hiboux met en scène trois musiciens / comédiens qui se penchent sur nos rapports aux disparus et invitent le public à plonger dans un monde où vivants et morts bricolent pour mieux vivre ensemble.

NOUVELLE COMPLICITÉ ARTISTIQUE

Soutien aux artistes dans les différentes étapes de leurs réalisations, Les Tombées de la Nuit ont toujours eu à coeur de les accompagner, d’échanger avec eux sur les besoins spécifiques de leur projet, pour mieux en révéler le potentiel.

En 2023, s’il ne devait y avoir qu’une compagnie, ce serait Les 3 Points de suspension/3615 Dakota, tant elle a rythmé notre année de sa présence inventive et révoltée. Le collectif a presque ouvert notre festival, a clos notre série de collaborations avec Les Ateliers du Vent et a conclu, en décembre, la riche année des Tombées de la Nuit.

Retour sur son histoire : à sa création en 2003, la compagnie Les 3 Points de suspension souhaite « inventer du théâtre, des performances, des expositions et autres formes partageables pour offrir un toit à nos doutes, nos certitudes, nos mélancolies, nos joies et nos angoisses. »

Hiboux © Benjamin Le Bellec

Une organisation parallèle en terre helvète voit le jour en 2016. Ça sera le collectif 3615 Dakota, « agence tout risque » croisant cirque, musique, théâtre, danse, arts plastiques et sciences sociales pour « changer le monde dans l’ombre de la réalité. »

Et puis, en 2023, Les 3 Points de suspension & 3615 Dakota embrassent leur nature transfrontalière et fusionnent leur productions et diffusions.

Avec De et par…, Hiboux et L’Arrière-Pays, nous aurons accueilli, en 2023, les trois versions de cette compagnie en constante évolution. Non pas que sa dénomination change quoi que ce soit pour nous ou pour le public tant l’ADN du collectif franco-suisse transpire à chaque spectacle présenté. Il s’agit d’inventions et d’alternatives proposées face aux visions catastrophiques sur notre futur, d’exploration et de conversations sur notre mortalité, ou de voyages surréalistes sur les terres d’une enfance devenue étrangère. De spectacles en spectacles, de question existentielle en question existentielle, entre mélancolie et espoir, Les 3 Points de suspension/3615 Dakota tentent de guérir nos angoisses en nous confrontant insolemment à leurs possibles causes, tentent d’ « inventer des histoires pour qu’elles se prolongent dans nos vies ».

Vaste programme pour la compagnie. Beau et inspirant programme pour Les Tombées de la Nuit qui ont, après tout, pleins d’histoires à inventer et tout un futur à créer.

Accompagner des artistes sans point final

En décembre dernier, la compagnie Les 3 Points de Suspension est venue jouer L’Arrière-Pays, un voyage en enfance, aussi charmant que loufoque. C’était la troisième apparition du collectif franco-suisse aux Tombées de la Nuit en 2023. Suivre des artistes dans la durée leur permet de prendre des risques créatifs et de créer un lien avec le public rennais.

En enfance. Sur la scène de la salle de la Cité, les comédiens de la compagnie Les 3 Points de Suspension disent, chantent et dansent leur création, intitulée L’Arrière-Pays. Ils semblent être des adultes. Mais ils parlent avec de vraies voix d’enfants… « La pièce questionne le rapport qu’on entretient aux enfants et aux rôles assignés en fonction de l’âge, décrit Nicolas Chapoulier, metteur en scène et directeur artistique de la compagnie. En mélangeant âge adulte et enfance, mignon, naïf et cruel, les personnages ressemblent à des pervers narcissiques », s’amuse-t-il.

Ils reviennent. C’est le côté un peu déjanté et loufoque de ce spectacle qui a séduit Morgane Le Gallic, directrice des Tombées de la Nuit : « Ils transmettent à la fois le côté éternel et merveilleux de l’enfance et ne s’empêchent pas de la caricaturer. » En 2023, les Franco-Suisses des 3 Points de Suspension avaient déjà été invités deux fois par Les Tombées. Pour présenter De et par la possibilité éventuelle des devenirs envisageables en été et Hiboux, à l’automne. « Ils sont toujours à la frontière entre humour, cirque et sociologie. Ils abordent des sujets de société avec une grande force d’interprétation ».

Chercher, tester. « Programmer plusieurs fois une compagnie n’est pas systématique, poursuit-elle. Mais pour certaines, cela a du sens. Quand le public crée des liens avec certains artistes, il a envie de se replonger dans leur univers, comme on va voir le nouveau film d’une ou d’un réalisateur qu’on aime. » Les Rennaises et Rennais retrouveront la compagnie en mars prochain, dans le cadre du festival Nos Futurs organisé par Les Champs Libres. Grands oracles, ils prédiront l’avenir, à grand renfort de cartomancie désopilante et de mini-bilan de compétences aussi profonds qu’un ticket de caisse. « Dès qu’on leur propose un défi, ils réagissent, ils inventent. Notre accompagnement leur permet plus de confort pendant leurs phases de recherche et de test d’idées », poursuit la directrice.

Espaces publics. « Les Tombées de la Nuit nous ont fait confiance sur des projets un peu hors normes, reconnaît Nicolas Chapoulier. Cette nouvelle complicité nous permet de prendre des risques, de tester d’autres types de narration. » La compagnie aime transformer les espaces publics pour les changer de contexte, faire participer le public à des expériences, imaginer comment l’art peut soigner la ville. « Le lien avec Les Tombées de la Nuit, qui ont une bonne connaissance de leur territoire et de la production en espace public, nous donne la possibilité de continuer à explorer ça. »

Pas de frontière. Les artistes des 3 Points de Suspension viennent de Savoie et de Genève. « C’est difficile d’exporter certains spectacles délicats dans des lieux qu’on connait peu. Par exemple, on ne les déplace pas en festival. Il nous faut savoir l’histoire du lieu et comment les spectateurs et spectatrices y sont liés, poursuit le metteur en scène. » Ce soutien des Tombées « nous permet d’être exactement dans le prolongement de notre pratique artistique. Il n’y a plus de frontières entre notre démarche artistique et sa diffusion ».

Audrey Guiller

LE FESTIVAL LES TOMBÉES DE LA NUIT

Première édition menée par Morgane Le Gallic, l’édition 2023 du festival Les Tombées de la Nuit a véritablement représenté la jointure de notre année. Sa programmation, dessinée de concert avec Claude Guinard, faisait la part belle au pluridisciplinaire, à la transversalité et aux expériences implicatives, idées fondamentales du projet des Tombées de la Nuit.

Lignes Ouvertes © Nicolas Joubard

LE FESTIVAL, UN CONCENTRÉ DU PROJET

Un triptyque de danse passionnant, entre tradition et modernité, entre bistrots et places publiques, du Ty Anna à la Place Saint-Germain ;
Une installation majestueuse sur le plateau de l’Opéra pour une rencontre entre chant lyrique et intelligence artificielle ;
Des illusions d’envolées en apesanteur menée de manière impromptue sur l’espace public ;
Un baptême dans la terre, performance implicative qui se clôturait par une exposition in situ, dans la cour de Langue et Communication ;
Des envols, chutes, voltiges spectaculaires, entre ciel et terre, au Carré Duguesclin ;
Des installations et compositions végétales, animales et minérales à l’Hôtel Pasteur ;
Des rituels et performances théâtrales sur le vaste thème du futur, aux Ateliers du Vent ;
Un envoûtant duel chorégraphique conclu par une danse collective joyeuse, au Grand Huit ;
Des classiques revisités en plein-air, au stade Rapatel ou au Thabor ;
Le corps et la chorégraphie du corps représentés dans leur quotidienneté, place Hoche ;
Deux conférences spectaculaires venues bousculer nos cultures, au 4bis ;
Du théâtre-documentaire pour dire le récit intime d’un transfuge rural, au Théâtre de la Parcheminerie ;
Une performance de danse défiant les lois physiques, dans le décor dépouillé des Halles en Commun ;
Du jonglage virtuose chorégraphié pour 7 femmes, 2 hommes, 7 pastèques et 80 oranges, au Théâtre de Verdure ;
Un one man show clownesque pour petits et grands, sur la pelouse enjouée et bondée et du Carré Duguesclin ;
Une revigorante performance chorégraphique et vocale en harmonie, place des Colombes ;
Une fanfare techno mythique, revisitée par des musiciens locaux, au Grand Huit ;
La traversée spectaculaire d’une funambule, entre ciel et terre, esplanade Charles-de-Gaulle…

Le festival 2023 nous a vus explorer les grands axes de notre projet (la ville et ses habitants, les artistes à hauteur de pavés, la participation citoyenne…) tout en tendant la main à son futur, thème central de cette édition. Le futur à portée de main, à portée de spectacles et à portée d’idées. Le futur que nous construisons actuellement sur les bases solides et précieuses qui ont précédé.

En 2023, le festival Les Tombées de la Nuit a accueilli 6 créations, 32 compagnies/artistes pour 77 représentations et 90 000 spectateurs.

Une édition bouillonnante et joyeuse à laquelle le public a répondu présent, se réunissant en nombre sur les places, terrasses de café, dans les parcs, dans les cours, au théâtre ou à l’Opéra, dans les halles et au pied des immeubles.

PROGRAMMATION DU FESTIVAL 2023

Roméo et Juliette © Nicolas Joubard
Baptêmes de Terre © Benjamin Le Bellec
Distro © Nicolas Joubard
Habiter n’est pas dormir © Benjamin Le Bellec
Le Sacre © Nicolas Joubard
Lévitation réelle © Benjamin Le Bellec
Quand ça ne finit jamais où ça commence © Nicolas Joubard
Screws © Nicolas Joubard

Et puis, aux côtés de la famille Masclet, très liée à l’histoire des Tombées de la Nuit, nous avons exploré un nouveau lieu rennais, ce Grand Huit qui a fait vibrer Rennes cet été. À l’emplacement de l’ancien technicentre SNCF, dans le quartier sud-gare, Le Grand Huit sera, à terme, le point de rencontre entre patrimoine forain d’autrefois et ère créative et innovante d’aujourd’hui. Comme le soulignait Morgane Le Gallic dans son édito du festival, « Le patrimoine, c’est aussi le futur quand on s’amuse à le réinventer ».

Du 6 au 9 juillet, en avant-goût du projet final, Le Grand Huit était déjà le lieu de croisement des Rennaises et Rennais pendant le festival. Dans cet espace de coopération avec les Masclet et leurs équipes, dans ce nouveau coin de la ville, notre programmation musicale côtoyait manèges et stands anciens, orgue Verbeeck et robot barman Bistromatik pour quatre jours d’expériences inédites à Rennes et environ 10 000 visiteurs.

Les manèges à remonter le temps

Le Grand Huit a rouvert ce vendredi 22 décembre. Ce nouveau lieu d’émerveillement rennais est né, l’été dernier, de l’élan de la famille Masclet à faire vivre le patrimoine d’art forain. Tout en s’appuyant sur les talents et les technologies d’aujourd’hui. Depuis 2010, Les Tombées de la Nuit accompagnent leur belle folie.

Au sud de la gare, c’est un quartier de la ville qui longe les rails. De l’extérieur, un long mur cache plusieurs entrepôts aux toits de tuiles. Et puis l’on franchit une grille d’entrée et c’est un festival : carrousels, chaises volantes, cochon rieur, orgue mécanique, manège de voitures d’un autre temps. Le Grand huit a ouvert à l’été 2023. Caverne d’Ali Baba de la famille Masclet – sacrée bricoleuse et collectionneuse de manèges et d’art forain – le lieu permet aux Rennaises et Rennais de découvrir et essayer des manèges ou de boire un verre dans une ambiance unique.

Début juillet dernier, Les Tombées de la Nuit et leurs complices d’I’m From Rennes ont inauguré l’espace avec trois soirées de programmation musicale. Mais le compagnonnage entre Les Tombées et Régis Masclet, le père, a débuté il y a plus de dix ans !

L’histoire commence par un manège. Un vieux manège de vélocipèdes abandonné dans un camion au Luxembourg. C’est une pièce rare. « Il a l’âge de la Tour Eiffel, s’enthousiasme Régis Masclet. C’est un des premiers manèges à sensations. À l’époque, les gens n’avaient pas les moyens de s’acheter un vélo. Ils venaient en essayer sur les champs de foire. » Le Rennais le récupère début 2010. « Ma passion, c’est de redonner vie à des manèges qui ont traversé le temps. Et comme par magie, une occasion s’est présentée pour que celui-là continue sa route. »

Du Thabor à New York

L’occasion s’appelle Claude Guinard, alors directeur des Tombées de la Nuit. Intrigué par ce drôle d’engin, il propose au passionné de le restaurer pour le mettre en scène lors du festival suivant. « J’étais habitué à installer des manèges dans des galeries commerciales. La dimension artistique du festival m’a fait rêver », précise Régis Masclet. À l’été 2010, le manège et d’autres prennent place au Thabor pour La Nuit au jardin, une promenade nocturne et poétique dans un univers forain. Le public est nombreux et ravi. « J’ai rencontré les Zarmine et Spectaculaires et je me suis rendu compte qu’en conjuguant différents talents, on pouvait créer un évènement merveilleux. »

« Cette aventure m’a vraiment ouvert l’horizon vers l’évènementiel », reconnaît Régis Masclet. Il ajoute qu’elle a aussi certainement donné une autre vision de sa passion à ses deux fils. Thibault étudiait pour devenir architecte, Adrien électromécanicien. Tous deux l’ont alors rejoint pour travailler avec lui sur sa collection. Enthousiasmée par ce coup d’essai rennais, la famille Masclet le reproduit quelques mois plus tard « en trois fois plus grand et à New York, sur l’île de Governors Island. Les petits Français ont eu la côte! »

En 2011 et 2012, Les Tombées de la Nuit continuent leur accompagnement artistique de la famille Masclet. Les collectionneurs ont acquis les vestiges de la Baraque Skooter, une structure foraine de 1920. Mais en l’état, elle ressemble plutôt à un tas de bois. « Thibault en a fait une maquette en volume pour montrer à quoi cela pourrait ressembler. » Rénovée avec soin et mise en scène, elle s’installe au carré Duguesclin du Thabor pour héberger l’espace de convivialité du festival. « De projets en projets, j’ai eu une vision de plus en plus claire de ce qu’on pourrait proposer au public », raconte Régis.

Manèges rétros et nouvelles technos

Puis les Masclet trouvent enfin un lieu pour se poser, dans l’ancien technicentre de la SNCF. « Le Grand huit, c’est un lieu culturel vivant, de patrimoine mais surtout de transmission », décrit Thibault Masclet. Une de ses missions est la présentation de la collection Masclet au public. Ces cinq prochaines années, pendant lesquelles le lieu va être modelé, le Grand Huit ouvrira de manière saisonnière, entre les tranches de travaux. « Les expositions changeront à chaque ouverture, poursuit-il. En même temps que les habitantes et habitants redécouvrent une partie de la ville à laquelle ils n’avaient pas accès, on les surprendra à chaque fois avec de nouveaux manèges. »

Et il ne s’agit pas seulement de montrer. L’espace forain va être un lieu d’action et de formation. « La rénovation d’un manège implique tous les corps de métier, explique Thibault. L’idée est de proposer des ateliers ludiques pour donner goût au travail manuel dans l’univers festif forain. On s’appuiera autant sur le savoir-faire des anciens, qui ont beaucoup à transmettre, que sur les technologies du numérique et de l’impression 3D. » Le nouveau lieu accueille d’ailleurs un Fablab et la communauté des Makers de Rennes et proposera un espace de coworking à des artistes en lien avec l’univers forain. Un espace bar, restaurant et cabaret spectacle viendra bientôt saupoudrer le tout de paillettes.

En 2023, quand Morgane Le Gallic a succédé à Claude Guinard à la direction des Tombées de la Nuit, le lien avec la famille Masclet s’est fait très naturellement, explique Régis : « Ça a tout de suite collé, car les Tombées conservent un état d’esprit qu’on a en commun : celui de l’imprévu contrôlé, sourit-il. On aime être étonnés et surprendre, on travaille fort pour cela, et on essaie de faire oublier le labeur derrière un résultat final poétique. » Pour Morgane Le Gallic, « Rencontrer la famille Masclet est au cœur de l’esprit des Tombées, celui qui me plaît tant, c’est une part d’enfance et d’amusement irrésistible. C’est aussi un savoir-faire traditionnel, magique qui se réactualise en permanence. »

Régis Masclet est formel : « Tant qu’on a les yeux qui brillent, tout roule ! » Il ne peut s’empêcher d’évoquer cette nouvelle boîte à rire qu’il vient de trouver, les miroirs déformants qu’il va bientôt recevoir et la façade d’orgue mécanique qu’une vieille dame veut lui montrer : « J’ai l’impression que c’est Noël tout le temps. »

Audrey Guiller

LES RELATIONS AVEC LES PUBLICS : COMPLICITÉS & ACCESSIBILITÉ

LES PROJETS IMPLICATIFS

Le festival 2023 a été le terrain de jeu de deux beaux projets d’implication : l’aventure théâtrale De et par la possibilité éventuelle des devenirs envisageables, sur le vaste thème du futur et Lignes Ouvertes, traversée spectaculaire par la funambule Tatiana-Mosio Bongonga, de l’Esplanade Charles-de-Gaulle.

En préparation aux deux représentations de De et par la possibilité éventuelle des devenirs envisageables aux Ateliers du Vent, la compagnie 3615 Dakota a invité une vingtaine d’habitantes et habitants-complices à se former à la prédictologie, soit l’art de lire l’avenir de manière totalement déjantée ! Le temps de deux ateliers, les complices ont été initiés à la cartomancie à partir d’un oracle créé par la compagnie. Et lors de deux représentations complètes pendant le festival, au coeur d’une séquence qui leur était presque entièrement consacrée, ils ont tiré les cartes à plus de 150 spectateurs.

La compagnie Basinga était, quant à elle, à la recherche d’une soixantaine de « cavalettistes » pour l’accompagner dans une époustouflante traversée. Coutumière des performances en longue traversée sans attache, la funambule Tatiana-Mosio Bongonga s’apprêtait en effet à présenter, à Rennes, un nouveau voyage filaire urbain de deux cent mètres de long au-dessus de l’Esplanade Charles-de-Gaulle et avait besoin, pour l’accompagner dans cette traversée, de cavalettistes, soit des complices prenant en main les « cavalettis » (cordes posées à cheval sur le câble principal et permettant de le stabiliser en limitant son oscillation).

Un appel à participation a permis de rassembler 60 complices prêts à relever l’extraordinaire défi, après une marche test et une répétition générale dans les conditions du réel. Épaisseur supplémentaire à cet époustouflant spectacle, la participation des habitantes et habitants à Lignes Ouvertes est venue amplifier sa dimension collective. Aux côtés de Tatiana, marchant et dansant à 20 mètres de hauteur, se tenaient ses musiciens, 5000 spectateurs et 60 hommes et femmes de tous âges, participant aux Tombées de la Nuit pour la première fois ou complices de longue date, retraités ou jeunes actifs, étudiants, rennais ou étrangers (Irlande, Afghanistan, Iran). André et Sylvain, deux personnes aveugles accompagnés par la résidence André Breton, ont pu tenir un cavaletti auprès d’une habitante-complice voyante, pour sentir les pas de Tatiana au bout de leur corde. Ce samedi de juillet, la ville de Rennes a été le témoin attentif et ébahi d’un événement unique, puissant et rassembleur sur l’espace public, nouvelle illustration de ce jeu avec la ville qui caractérise tant Les Tombées de la Nuit.

LA COMMUNICATION ACCESSIBLE

Depuis de nombreuses années, Les Tombées de la Nuit intègrent la question de l’accessibilité dans la conception de leurs outils de communication. Investis dans plusieurs réseaux menant une réflexion de fond sur le sujet, nous tentons de penser et d’adapter nos supports et leur diffusion, tout en croisant les expériences.

En amont de chaque édition du festival depuis quatre ans, nous travaillons à la réalisation d’un programme FALC (Facile à Lire et à Comprendre), outil destiné au public en situation de handicap mental et qui, par ailleurs, peut faciliter la compréhension de la programmation pour un public élargi (primo-arrivants, personnes âgées, etc.)

Le processus de réalisation du FALC irrigue, chaque année, notre réflexion et a notamment confirmé l’importance de la consultation et de l’implication des publics concernés dans la fabrication des supports accessibles, idée encore peu explorée mais au potentiel immense. Ainsi, nous avons sollicité un groupe d’adolescents de l’IME-EDEFS 35 (qui s’occupe d’enfants et ados en situation de handicap) pour nous accompagner dans la relecture du FALC 2023. Le design, dédié à la résolution de problèmes pour faciliter l’utilisation d’un objet, est une des clés d’amélioration de la communication accessible et l’équipe des Tombées de la Nuit continue à explorer le sujet chaque année davantage.

L’intégration du design au service de la communication accessible était d’ailleurs l’un des chantiers abordés, en 2023, par le réseau Comète. Né en 2021 d’une volonté de croiser les réflexions propres aux métiers de la communication et de la médiation afin d’adresser des problématiques communes, le réseau Comète réunit des professionnels de la communication et de la médiation du secteur culturel rennais ( Les Tombées de la Nuit, L’Armada Productions, Le Triangle, Danse à tous les étages, L’intervalle, AY-ROOP ). Dans ce cadre, et désireuses de développer la réflexion sur ce sujet, Les Tombées de la Nuit ont imaginé et mis en place, le 6 juin 2023, une conférence sur le thème du graphisme et de l’accessibilité, aux côtés de Pollen Studio ( agence de design graphique basée à Rennes, organisant deux à trois fois par an les Mardis Graphiques, conférences dédiées au graphisme, à l’identité visuelle et aux tendances ).

Comment prendre en compte des handicaps très divers sur des documents imprimés ? La contrainte de l’accessibilité doit-elle conduire à une simplification, voire à un appauvrissement graphique ? Quelles pistes graphiques peut-t-on explorer ? Professeurs en design graphique, web designers et étudiants ont pu assister à cette conférence et participer au débat avec les invités.

Seule dans les airs grâce aux autres sur terre

En juillet dernier, Tatiana-Mosio Bongonga a marché et dansé à vingt mètres au-dessus de l’esplanade Charles-de-Gaulle. On ne peut pas dire que sa performance ne tenait qu’à un fil. Funambule « sans attache », l’artiste était entourée de la compagnie Basinga, qui veut dire « liens » en lingala, et de 60 habitantes et habitants complices qui ont maintenu le fil sur lequel elle a fait des prouesses.

Un fil suspendu à 20 mètres de hauteur traverse l’esplanade Charles-de-Gaulle. Tatiana-Mosio Bongonga, funambule et co-directrice artistique de la compagnie Basinga, s’apprête à s’y lancer sans attache pour le spectacle Lignes ouvertes. La musique démarre. Soixante personnes surgissent alors sur la place. Elles et ils portent des tee-shirts rouge marqués « Cavalettiste » : « J’ai répondu à un appel à participation sur le site des Tombées de la Nuit, explique Frédéric Percevault, l’un d’entre eux. Notre rôle de cavalettiste est de stabiliser la corde sur laquelle marche Tatiana. On est au sol, attachés à des cordes grâce à un harnais au niveau de la taille, et on fait des pas en avant ou en arrière pour tendre notre corde et équilibrer la sienne. »

Techniquement, la corde de marche de la funambule pourrait être maintenue par des câbles fixés au sol. « Mais l’idée de ce spectacle est de rassembler et d’inclure des hommes et des femmes de tous âges, cultures, profils », décrit Jan Naets, directeur technique et co-créateur de la compagnie. « On a parfois le cliché d’un funambule tête brûlée qui n’a besoin de personne, poursuit Tatiana. Ici, au contraire, c’est parce que des humains coopèrent, parce que chacune et chacun prend sa responsabilité à un endroit qu’on arrive à faire un projet d’envergure. »

Beaucoup de vie et d’énergie

Les cavalettistes, des habitantes et habitants volontaires de la Métropole, ont participé à trois ateliers de préparation avant le grand jour. « La compagnie explique, nous met en confiance. On voit qu’ils savent ce qu’ils font, raconte Frédéric. Ils nous rassurent aussi : même si l’un défaillit, les autres compenseront. » Les cavalettistes prennent peu à peu conscience des éléments du spectacle : la météo, la tension des cordes, les mouvements de Tatiana. L’art de Jan et son équipe est de les tranquilliser tout en les gardant concentrés. « Quand les cavalettistes bougent, je sens des vibrations sur la corde, détaille Tatiana. Ça ajoute de la difficulté mais ça me nourrit. De leur rassemblement et de leur confiance se dégage beaucoup de vie et d’énergie qui me stimulent. »

Fawad Sheryar Eliasy, cavalettiste, était placé sous le milieu du fil. « J’ai eu peur de faire une erreur pendant le spectacle, car mon pied droit est fragile et équilibrer demande de la force. À un moment donné, quand elle a dansé, j’ai cru qu’elle allait me tirer avec elle ! » Fawad a beaucoup aimé l’expérience : « Tous les cavalettistes, nous étions énergiques et motivés. En étant entouré de milliers de spectateurs, je me suis senti un peu spécial aussi. » Frédéric, attentif à se positionner le mieux possible sans donner d’à-coup, était à la fois admiratif des mouvements de Tatiana et fier de pouvoir répondre aux questions des spectateurs curieux autour de lui. Jan confirme : « Les cavalettistes ressentent chaque pied sur le fil, ils y sont connectés, ils peuvent parler de la performance d’une façon particulière. »

Comme une ligne sociale

De retour au sol, Tatiana, Jan et l’équipe de Basinga prennent un long temps d’échanges avec les cavalettistes. On s’applaudit, on trinque, on rit. Tatiana distribue des porte-bonheurs. « C’est super ce partage, sourit Frédéric. Et tellement réjouissant de participer à une création artistique que d’autres voient et apprécient. Vivement la prochaine fois ! » Pour les artistes aussi, cet échange compte. « Ça fait du bien d’expliquer la réalité de nos métiers pour sortir des clichés, reconnaît Tatiana. Que des gens comprennent notre manière de faire et l’acceptent. On se sent soutenus. » Fawad, qui est arrivé d’Afghanistan à Rennes en 2021, a déjà hâte de s’impliquer dans un prochain spectacle des Tombées de la Nuit. « Je viens d’un pays en guerre, où les Talibans radicaux ne laissent pas ce genre de spectacle se produire. Pour moi, c’est une expérience nouvelle et belle. J’aime me connecter avec différentes personnes de cultures et d’horizons différents. Cela augmente mes connaissances. Et cela crée comme une ligne sociale entre les gens. »

Audrey Guiller

FOCUS SUR : LA DANSE SUR L’ESPACE PUBLIC

Le Sacre © Nicolas Joubard

L’espace public est notre terrain de jeu privilégié et la danse, l’une des nombreuses disciplines mises en lumière aux Tombées de la Nuit. Cette édition 2023 a tout particulièrement été le cadre d’un rayonnement de la danse sur l’espace public. Pendant cinq jours, nous avons été les témoins de chorégraphies bouillonnantes et audacieuses, nous avons senti la proximité des corps en mouvement, entendu les sauts des danseurs et danseuses sur les pavés…

La compagnie C’hoari et son triptyque mêlant danse traditionnelle bretonne et danse contemporaine ont fait vibrer un public fasciné venu les voir au Ty Anna, au Café ou sur l’esplanade des Champs Libres, place Sainte-Anne ou place Saint-Germain. Touchant au coeur de la culture bretonne, dans une déclinaison incroyablement actuelle, le projet de Nolwenn Ferry et Pauline Sonnic nous tend un miroir et nous invite à réfléchir à ce qu’il y a de contemporain dans la notion de patrimoine immatériel. Camille Boitel et sa compagnie L’immédiat ont marqué la ville de leur empreinte avec Lévitation réelle, petite forme impromptue dans les rues de Rennes qui nous invitait à prêter attention à l’inattendu dans notre quotidien. Cette forme légère, dans laquelle une danseuse et trois danseurs nous donnaient l’illusion d’une perte d’apesanteur, a joué de la proximité entre artistes et passants pour mieux embrasser la surprise, d’un côté comme de l’autre, brouillant les frontières entre fiction et réalité, entre les danseurs et nous. Quelques interventions du public, drôles et touchantes, ont ainsi été délibérément ininterrompues, ajoutant une touche d’insolite à cette parenthèse inimitable.

Battle mon coeur © Nicolas Joubard

Battle mon coeur, qui a surgit au coeur du public du Grand Huit lors d’une représentation unique, a également joué le jeu de la porosité entre scène et public. Débuté comme un duel entre deux danseurs, brut et silencieux, le spectacle les voyait petit à petit transformer cette solennité en énergie vitale avant d’inviter le public, tout simplement à portée de mains et de regards, à entrer dans la danse. Pour une communion finale imprévisible, enivrante et joyeuse.

Screws © Nicolas Joubard

Screws d’Alexander Vantournhout nous invitait à observer de près une danse physique et intense. Dans un parcours à hauteur de bitume, dans les coins et recoins des Halles en Commun, nous avons contemplé les efforts de ce quatuor de danseurs et danseuses confrontés, attachés, reliés à des agrès insolites. À ces limitations physiques succédait la virtuosité victorieuse des corps que le public pouvait scruter comme à la loupe. Grâce à la réduction de la distance entre artistes et public, grâce à l’apparente décontraction de la mise en scène, nous devenions témoins familiers, épatés et amusés de la capacité des corps à se surpasser.

Le public a également répondu présent au lieu de rendez-vous place des Colombes pour assister aux deux représentations d’une relecture du Sacre du Printemps par le collectif La ville en feu. Ce balai déambulatoire jouait et se jouait du mobilier urbain. Ses danseurs, branchés au pouls de la ville, se mêlaient aux spectateurs pour un résultat organique, imprévisible et ultramoderne. En l’espace de 40 minutes, Le Sacre a participé à une certaine idée de démocratisation de l’art dans l’espace public en réduisant encore d’un cran les distances et les obstacles entre danseurs et spectateurs.

Joie de la proximité des habitants avec les artistes, inhérente à l’espace public ; joie des surprises et des émotions qu’une telle mise en scène du réel provoque et encourage ; joie de cette porosité permettant aux intentions et aux désirs des danseurs de circuler de leurs jambes à nos yeux, de leurs têtes à nos ventres, et vice et versa. C’est bien dans ce genre de contextes que bat le coeur du projet des Tombées de la Nuit.

Les aventurières de la culture bretonne

Pauline Sonnic (28 ans) et Nolwenn Ferry (27 ans) sont chorégraphes, interprètes de danse contemporaine et créatrices de la compagnie lorientaise C’hoari. En juillet dernier, elles ont présenté trois pièces au festival Les Tombées de la Nuit : Tsef Zon(e), Distro et Barrez. Leur inspiration est bretonne, leur énergie est rock’n’roll.

Mêler danse contemporaine et tradition bretonne : d’où vous est venue l’idée ?

Pauline : Nolwenn s’est formée aux conservatoires de Metz et Lille. Moi à Lorient, puis à Nantes. On s’est rencontrées au conservatoire d’Angers. Pendant nos études, on s’est vite posé la question du rapport au public. La danse contemporaine peut avoir une facette élitiste, s’adresser toujours un peu au même public. Et en tant qu’artiste, on peut se retrouver à devoir rentrer dans un moule, porter un masque pour faire bonne impression.

Nolwenn : Je crois aussi qu’à la fin de notre formation, on se demandait qui on était. La danse est tellement chronophage, on devient tellement spécialiste, qu’on ne sait plus trop quelle humaine on est hors de la danseuse. Avec Pauline, on s’est rejointes sur nos racines. Elle a grandi à Lorient. Ma mère est bretonne. On est toutes les deux très touchées par la façon dont la danse et la musique bretonnes arrivent à rassembler, mélanger et inclure des gens très différents. En 2019, pour notre première de leur création, Tsef Zon(e), on a donc choisi de travailler sur le monde du fest-noz et de la danse bretonne.

Quels éléments bretons vous ont inspirées ?

Pauline : On a sillonné les fest-noz pour décortiquer la matière chorégraphie de la danse bretonne, en garder l’essence et la réinterpréter avec notre propre vocabulaire de jeunes et de danseuses contemporaines. Un des piliers, c’est le plaisir d’être ensemble. Dans la vie, ce n’est pas facile de créer des relations. Mais dans un fest-noz, on entre vite en contact avec les autres, c’est assez fascinant.

Nolwenn : Ensuite on a gardé l’aspect très physique des danses bretonnes. Elles sont fort ancrées dans le sol. Les pieds deviennent presque des instruments de percussion.

Pauline : Le rythme est hypnotique, vibrant et conduit à un lâcher prise collectif, comme une transe.

Nolwenn : Dans notre pièce, on a voulu explorer ce dépassement du corps. On donne tout. On va jusqu’aux bouts de nos limites. Et justement, ce qui nous fait tenir physiquement, c’est le lien entre nous. On sait que l’une est là pour l’autre, on se demande et on se donne continuellement de l’énergie. Dans certains spectacles de danse contemporaine, les chorégraphes nous invitent à garder des visages neutres, à rester dans notre bulle. On est vingt danseurs et danseuses sur scène mais finalement, on se sent seule. On aspirait à autre chose.

Vous sentez-vous spécialistes de la culture bretonne ?

Pauline : Ah non, on n’en a pas tous les codes, loin de là ! Moi j’allais en fest-noz petite avec mes parents, puis j’ai arrêté à l’adolescence. Je trouvais ça vieillot. Et je sentais trop de pression : vers le centre du cercle, il faut que la danse soit impeccable, comme de la dentelle. Au départ, on s’est plutôt interrogées sur notre légitimité. Mais que ce soit dans la danse contemporaine ou la culture bretonne, on veut sortir de l’idée qu’il faudrait être puriste pour y avoir accès. Tout le monde peut se sentir concerné et touché.

Nolwenn : On veut juste réintégrer et faire perdurer une culture ancestrale, comme un hommage. Et puis ces mélanges, ces croisements, ce sont des prétextes pour aller découvrir, rencontrer l’autre, apprendre des choses nouvelles : pour vivre, en fait.

De la tradition bretonne, qu’avez-vous préféré écarter ?

Pauline : On a choisi de la musique bretonne contemporaine. On avait moins envie d’un traditionnel « biniou bombarde ». Mais les motifs du kan ha diskan, par exemple, avec le chant et le contrechant, sont super intéressants pour la danse contemporaine.

Nolwenn : On bouscule aussi la question de genre. En danse bretonne, il y a une rigidité d’une autre époque sur ce que doivent danser les hommes et les femmes, comment chacun et chacune doit se comporter, s’habiller. Nous on veut sortir de ces normes. Dans notre seconde pièce, Distro, déclinée en une version pour les bars, Barrez, on nous a d’ailleurs beaucoup renvoyé que c’était rare et chouette de voir deux femmes avoir un propos sur les bistrots et les troquets.

Vos pièces Distro et Barrez sont une ode aux bars ?

Pauline : En campagne, plein de petits rades ont fermé. Pourtant c’est tellement important que perdurent des lieux de rassemblements, qui continuent à jouer la proximité, le local, le solidaire. Dans des vies tendues, où l’on suffoque parfois, on a besoin de se retrouver ensemble quelque part.

Nolwenn : Notre danse s’inspire de gestes du quotidien qu’on rejoue dans l’espace : essuyer un verre, tirer une bière, boire au comptoir. Mais on les détourne pour que ce ne soit trop caricatural. On ne veut pas faire du mime.

Vous avez dansé Barrez dans le bar Ty Anna tavarn : qu’est-ce que ça change ?

Nolwenn : Souvent, sur scène on se sent regardées. Dans un bar, on danse pour et avec les gens. Ça crée du lien. On partage un espace commun dont ils et elles font partie. Les gens s’autorisent davantage à nous parler, à nous faire des signes. Tout le monde se sent plus intégré. C’est moins une représentation qu’un jeu partagé.

Pauline : On aime proposer une version de nos spectacles dans l’espace public. Ça fait voyager les spectateurs. Ceux qui sont habitués aux théâtres en sortent et ceux qui sont au comptoir découvrent de nouvelles formes d’art, comme un cadeau. Pour nous, se mélanger et apprendre des différences des autres, c’est super important.

Propos recueillis par Audrey Guiller

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