Photo : © Solveig de la Hougue
— Publié le 9 juillet 2017 —
La Vieille qui lançait des couteaux : faire ses armes contre la peur de l’autre

Vendredi soir, la compagnie AMARANTA accueillait ses spectateurs dans un petit théâtre forain à ciel ouvert, au parc du Thabor, pour une défense poétique et politique de l’univers des gens du voyage.

Avec Hannah, jeune accordéoniste charmant son public sous la nuit tombante, nous attendons patiemment que la vénérable grand-mère fasse son apparition. Cette femme est capricieuse. Des décennies de succès sur les routes, la traversée d’une guerre, l’âge, sont des paramètres épiçant le caractère… Quand la vedette apparaît enfin, elle interpelle le public : madame désire une cigarette. Et des « sous dans la gamelle ». A son âge, le trac n’est plus qu’un souvenir lointain.

Cette très vieille dame à la parole libre et culottée doit lancer des couteaux pour que son cirque perdure. Numéro périlleux par excellence. Or, son dos est courbé, sa main est tremblante, sa vue est trouble et sa démarche n’est guère assurée… Ce qui n’inspire guère confiance et nous fend d’un large sourire. Cette femme, prend donc son temps pour lancer, pour mesurer son geste, et surtout pour nous faire le récit de sa vie. Elle raconte ses origines paysannes, son coup de foudre avec un bohémien, la guerre et la xénophobie.

Si la parole de madame est si piquante, c’est peut-être une forme de carapace. Une lutte contre la fragilité reconduite à travers les âges. Ainsi, à propos de sa petite fille, elle nous confie : « Si je suis si insupportable avec elle, c’est pour ne pas lui manquer quand je ne serai plus là ». Quand on est forain, quand on est mobile, quand on ne s’attache à aucune terre, on est perçu comme un étranger partout. Et l’expérience des camps oblige à se protéger… La Vieille témoigne. Fière de sa culture, de son mari italien qui lui plût tant avec son air d’ailleurs, gonflée d’orgueil par son cirque, elle dirige cette émotion dans son art, contre la haine de l’autre.

Un spectacle engagé. Trois couteaux sont lancés contre la France, accusée de complicité dans le génocide tzigane. Et d’autres, contre certains partis politiques français. « Et voilà pour le Parti Socialiste, ou ce qu’il en reste ! », « Et pour Macron, ni de gauche ni de droite paraît-t-il ». « Enfin pour les écolos, les prochains à nous emmerder ! ». L’occasion de régler ses comptes avec le pouvoir et de faire une boutade. Un parfum libertaire. Un lancer de couteaux cathartique.

La Vieille est adroite. Couteau de cuisine, fourchette, et même casserole, tout filera à travers les airs pour percer la cible. A neuf mètres de distance. Les yeux bandés. Après son numéro, la vieille femme semble rajeunir. Escaladant les murs, courant à perdre haleine, la gitane semble vouloir dépasser les limites, aussi bien verticales qu’horizontales. Et l’on comprend alors dans ce mouvement la quête de liberté des gens du voyage. La leçon pourrait être celle que résume Spinoza dans son Traité politique : « Ne pas se moquer, ne pas déplorer, ne pas détester mais comprendre. »

Nathan LE POTIER

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